Ce que demande l’ANACR

En 2006, le 18 juin a été institué «Journée nationale commémorative de l'appel historique du Général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi»: ....

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«Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi. ..Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.»

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Appel qui permit à la France de rester présente, dès l’été 1940, parmi les nations combattant le nazisme et, grâce aux sacrifices des Français Libres, de l'Armée d'Italie et de la Première Armée française ayant intégré en son sein les unités des Forces Française de l’Intérieur, de figurer parmi les vainqueurs, le 8 mai 1945.

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Appel qui favorisa aussi la naissance, en France occupée, des mouvements de résistance qu'avec d'autres, et notamment les partis et syndicats clandestins, Jean Moulin unifia, le 27 mai 1943, au sein du Conseil National de la Résistance, rassemblant ainsi, à la demande du Général de Gaulle, l'ensemble des forces de ce qui sera considéré à partir cet acte fondateur comme «La Résistance».

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Cette création du CNR, Charles de Gaulle, lui-même, en perçut immédiatement la portée historique, car, en amorçant la jonction entre les forces de la France Libre et celles de la Résistance Intérieure, elle lui permettait d'affirmer qu’il représentait bien, devant les Alliés, l'ensemble des Français combattant l'occupant nazi et ses complices, non seulement sur le sol national, mais encore sur la plupart des champs de bataille, ainsi qu’il l’explique dans ses “ Mémoires de Guerre”

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«Le télégramme de Jean Moulin me confirmant la création du CNR le 27 mai et publié par les radios américaines, britanniques et des Français libres, produisit un effet décisif, non seulement en raison de ce qu'il affirmait, mais aussi, et surtout, parce qu'il donnait la preuve que la Résistance française avait su faire son unité. La voix de cette France écrasée, mais grondante et assurée, couvrait, soudain le chuchotement des intrigues et les palabres des combinaisons. J'en fus, à l'instant même, plus fort, tandis que Washington et Londres mesuraient, sans plaisir, mais non sans lucidité, la portée de l'événement ».

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Ainsi , avaient été surmontés les obstacles qui auraient pu empêcher, non seulement l’unification au sein de ce Comité National, sous l’autorité du chef de la France Libre, des mouvements de résistance se réclamant ou pas du gaullisme, des syndicats, des partis politiques clandestins qui recouvraient tout le spectre politique de la Gauche à la Droite en passant par le Centre, mais encore, l’élaboration , puis l’adoption , le 15 mars 1944, du programme de la Résistance “ Les Jours Heureux”, programme qui allait donner son sens à l’insurrection nationale des mois de mai et juin 1944 pour fonder “ une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction instauré par Vichy et qui rendra aux institutions démocratiques et populaires l'efficacité que leur avait fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui ont précédé la capitulation. Ainsi sera rendue possible une démocratie qui unisse au contrôle effectif exercé par les élus du peuple, la continuité de l'action gouvernementale”.

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C’est pourquoi, depuis de très nombreuses années, l'ANACR demande qu’à la date anniversaire de la création du CNR, chaque année, le 27 mai , ou à un jour ouvrable proche, pour permettre l’information de la jeunesse scolarisée, une Journée Nationale de la Résistance, journée non fériée, non chômée, rende hommage aux Françaises et aux Français qui ont bravé, pendant toute la durée de l'Occupation et jusqu'à l'insurrection nationale de l'été 1944, à la fois les forces militaires et policières de l'ennemi mais aussi l'appareil répressif du régime de Vichy et ses milices.

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A l’occasion des élections législatives de juin 2012, le Comité départemental ANACR du MORBIHAN s’est adressé à tous les candidats, à l’exclusion de ceux se réclamant du Front National dirigé par Marine LE PEN, pour les inviter à soutenir cette exigence que l'engagement dans la lutte patriotique des combattants de la Résistance et le sacrifice de dizaines de milliers d'entre eux, soient, de manière spécifique, ancrés dans la mémoire nationale et montrés en exemple aux générations présentes et futures.

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12 candidats, soit par ordre alphabétique: Jean-Paul AUCHER (5ème circonscription Europe Ecologie Les Verts), Jean-Luc BLÉHER (4ème circonscription), Charles-Edouard FICHET ( 4ème circonscription Divers Gauche ), Joël GALLAIS (5ème circonscription Front de Gauche), François GOULARD ( 1ère circonscription Union pour un Mouvement Populaire), Jean-Pierre LE ROCH ( 3ème circonscription Parti Socialiste), Roland LE SAUCE ( 2ème circonscription Front de gauche Auray), Paul MOLAC ( 4 ème circonscription Union Démocratique Bretonne), Philippe NOGUES ( 6éme circonscription Parti Socialiste), Hervé PELLOIS (1ère circonscription Agir maintenant), Gérard PERRON( 6 ème circonscription Front de Gauche ), Gwendal ROUILLARD( 5ème circonscription Parti Socialiste)ont répondu à notre courrier.

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Pour la poursuite de notre campagne, il nous a paru important, compte tenu de la diversité des courants républicains qui ont ainsi montré leur intérêt à notre démarche, de publier dans un brochure spécifique leurs réponses.En effet, alors que les combattants anciens résistants, anciens déportés et les divers témoins de cette époque s’éloignent de nous les uns après les autres, nous ne voulons ne pas renoncer à rappeler le sens et la portée de leur combat aux générations qui n’ont pas subi une occupation ennemie sur le sol national, ni de régime “ de basse réaction” mettant en oeuvre la collaboration avec le système nazi qui dressait les peuples les uns contre les autres, recherchait la domination de la race aryenne “des seigneurs” sur l’ensemble de l’Europe et, à ces fins, organisait l’élimination des démocrates et l’extermination des races dites inférieures :

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HITLER dans Mein KAMPF Un peuple, un empire, un chef

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Après des siècles de pleurnicheries sur la défense des pauvres et des humiliés, le moment est arrivé de nous décider à défendre les forts contre les inférieurs ....L’instinct naturel ordonne à tous les être vivants, non seulement de vaincre leurs ennemis, mais encore de les exterminer ...Il ne s’agit pas de supprimer l’inégalité parmi les hommes, mais au contraire de l’approfondir ....Le peuple allemand est élu pour devenir la nouvelle classe des seigneurs dans le monde .........La France est et reste l’ennemi que nous avons le plus à craindre. Ce peuple, qui tombe de plus en plus au niveau des nègres, met sourdement en danger, par l’appui qu’il prête aux Juifs pour atteindre leur but de domination universelle, l’existence de la race blanche en Europe”....

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Le Reichfürher HIMMLER dans un discours du 6 octobre 1943 devant les responsables régionaux du REICH“La phrase “ il faut exterminer les juifs”, ces quelques mots on les prononce facilement. Pour celui qui doit réaliser ce qu’elle exige, c’est la chose la plus dure et la plus difficile qui existe ...La question qui s’est posée à nous: que faire des femmes et des enfants ?, je me suis décidé ici aussi à trouver une solution très claire. Je ne me sentais pas, en effet, le droit d’exterminer , donc de tuer ou de faire tuer les hommes, en laissant, sous la forme d’enfants, grandir des vengeurs face à nos fils et à nos petits fils.La difficile décision devait être prise de faire disparaître ce peuple de laTerre...L’organisation de cette mission a été faite sans que nos hommes et notre Fürher en subissent un dommage à l’esprit ou à l’âme ...”

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Nous espérons que l’année 2013, celle du 70 ème anniversaire de la création du Conseil National de la Résistance sera celle qui verra l'instauration de la Journée Nationale de la Résistance.

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Ainsi,

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-avec la Journée Nationale de la Déportation, le dernier dimanche d'avril, - avec la journée Nationale commémorative de l'appel historique du Général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi, le 18 juin, la Journée Nationale de la Résistance, le 27 mai, serait partie prenante d'un ensemble mémoriel dédié à celles et ceux qui, sur le sol national occupé, sur tous les fronts de la lutte contre le nazisme et le fascisme à travers le monde, et jusque dans les camps de concentration nazis, ont lutté, ont souffert et sont tombés pour la Libération de la France, la Liberté de son peuple, l’Égalité et la Fraternité entre ses citoyens .

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Pierrick- Ambroise CHERELSécrétaire Départemental
Katherine LE PORTPrésidente Départementale de l’Association Nationale des Anciens Combattants et Ami(e)s de la Résistance Comité du MORBIHAN

Témoignage de Pierre Meunier

Voici des extraits du témoignage que Pierre Meunier, secrétaire général du Conseil National de la Résistance a écrit dans son livre« Jean Moulin mon ami »sur la journée du 27 Mai 1943.

couverture

Comme le déclare dans sa préface Maurice Kriegel-Valmiront, membre du Comité d’Action Militaire du CNR, « Pierre Meunier a été l’ami, le confident, le conseiller..voici donc un témoignage de première main et à bien des égards exemplaire....qui rend hommage au premier président du Conseil National de la Résistance. Il fut à la fois un patriote indomptable, un républicain de lumière et un résistant dont la France sera fière à jamais.
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48 rue du Four
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Le 7 mai 1943, tout juste deux ans ou presque avant la capitulation du Reich hitlérien à qui son Führer avait promis mille ans de prospérité, le délégué du général de Gaulle, Jean Moulin, adressait enfin au chef de la France Combattante le télégramme annonçant la constitution du Conseil National de la Résistance, le fameux C.N.R. pour lequel il s'était tant battu, et il communiquait, dans le secret qu'on imagine, une première liste de ceux qui siégeraient, en plein coeur du dispositif ennemi, dans l'« organe essentiel de la France qui combat » .
Le 15 mai, agissant en qualité de président désigné par de Gaulle d'un C.N.R. qui ne s'était pas encore réuni, Moulin télégraphiait à nouveau. De Gaulle allait enfin être autorisé à se rendre à Alger où Giraud, épaulé par les Américains, tenait fermement les rênes. Une dure négociation, pour ne pas dire plus, allait se dérouler... Il fallait donner des atouts au chef de la France Libre ; Moulin, s'exprimant au nom des organisations qui allaient être représentées au C.N.R., écrivit « ... le peuple de France n'admettra jamais la subordination du général de Gaulle au général Giraud et demande l'installation rapide à Alger d'un gouvernement provisoire, sous la présidence du général de Gaulle ; le général Giraud devant être le chef militaire. »
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Un pavé dans la mare où, à Alger, on grenouillait allègrement.
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«J'en fus, écrit le général de Gaulle dans ses " Mémoires de guerre ", à l'instant même, plus fort, tandis que Washington et Londres mesuraient, sans plaisir, mais non sans lucidité, la portée de l'événement. »
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Mais le message, maladroitement repris par Radio Londres, et entendu par les responsables des mouvements, fut mal interprété... Certains, qui n'étaient guère favorables au C.N.R., ni, dans le fond, à la prise en main de la résistance intérieure par le Délégué du général de Gaulle regimbèrent, prompts à l'indignation, accusant Moulin d'avoir, avant même la première réunion plénière du C.N.R., anticipé sur les délibérations à venir et les décisions qui pourraient y être prises : il aurait présenté comme un message adopté un texte dont il n'avait pas été débattu... Et pour cause !
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Ils y virent, ou voulurent y voir, une indélicate manoeuvre politique tournée contre le général Giraud que certains ne désespéraient pas d'utiliser contre le chef de la France Combattante...
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Il était dit que, jusqu'au bout, le projet risquerait d'achopper... Même à la veille de la réussite. Les mouvements avaient été appelés à choisir chacun son délégué, mais c'est Moulin qui avait lui-même désigné les représentants des partis. A l'exception de Mercier (Guilloux), délégué du Parti Communiste qui avait été choisi par ses camarades... Il faut dire que, quoi qu'il fut affirmé plus tard, les services de la France Combattante accordèrent, en ce domaine, un traitement de faveur aux communistes.

stacks image 1932

Non par sympathie politique, mais en considération de la part qu'ils prenaient à la lutte clandestine. Cela avait été visible par la nature de l'accueil que Fernand Grenier, conduit à Londres par Rémy, y avait reçu. D'ailleurs, cela avait fort indisposé le Parti Socialiste... C'est moi qui organisa; au bois de Boulogne, la rencontre entre Moulin et Mercier. Curieusement, Mercier portait le nom que Moulin avait choisi pour pseudonyme... Cependant Moulin, à l'époque, ne s'appelait plus Mercier, mais Max.
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Dans ce choix, une seule fausse note : il avait été décidé que parmi les représentants des partis, ne figurerait aucun des ancien parlementaires qui, à Vichy, avaient abdiqué la République entre les mains de Pétain... Par erreur, Moulin avait pourtant choisi Joseph Laniel (Fédération Républicaine)... Je dois dire, par la pratique que j'ai eue du C.N.R., dont je fus le secrétaire général, que Laniel se comportera d'excellente manière...
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La première réunion devait se tenir le 25 mai. Amère déception : il fallut l'annuler ! On n'avait pu joindre Louis Marin qui devait représenter un petit parti hérité de la III République... Il n'était pas question que la première réunion du C.N.R. se tînt alors que l'organisme n'était pas au complet. D'autant que, pour des raisons de sécurité, il n'était pas possible de réunir le C.N.R. en assemblée plénière à tout bout de champ. Et pourtant, ce jour avait été tant attendu...
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La réunion fut remise au 27.
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La frustration fut telle qu'un certain nombre de pièces ou de rapports rendant compte de la réunion du 27 furent datés du 25. Comme si cette date du 25 mai était restée gravée dans les têtes!
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C'est sur Chambeiron et sur moi que reposa toute l'organisation matérielle de la réunion. Il fallait rassembler une vingtaine de personnes. Un secret partagé entre vingt personnes n'est pas facile à tenir. Aussi avions-nous décidé, qu'à part Jean Moulin et nous, nul ne connaîtrait le lieu où l'on siégerait... Nous avions convié les seize participants à se regrouper par deux ou trois, à quelques minutes d'intervalle, près d'une bouche de métro voisine de la rue du Four : Croix-Rouge, Saint-Sulpice, Mabillon, Saint-Germain-des-Prés. Chacun de notre côté, nous prîmes en charge un groupe qui nous suivit jusqu'au 48 de la rue du Four. Dans un ou deux cas, lorsque nous pensions qu'il y avait un danger particulier, mon ami ou moi ne conduisions qu'un participant, l'un le guidant, l'autre suivant à une vingtaine de mètres, pour s'assurer qu'il n'y avait pas filature...
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La sortie de la réunion se fit également par petits groupes. Chambeiron et moi, nous quittâmes la salle avant la fin, pour nous assurer que la voie était libre. Seize personnes quittant ensemble un immeuble, c'eût été inévitablement attirer l'attention. Par la suite, nous prîmes toujours ces mêmes précautions et, même si, parfois, nous éprouvâmes quelque émotion, jamais nous ne fûmes surpris... Et jamais nous n'organisâmes deux réunions dans le même lieu, ce qui posait de nombreux problèmes pour trouver des locaux. ---------
Un demi-siècle après cette réunion de la Rue du Four, j'enrage encore en pensant que si, à Caluire, on avait pris les mêmes précautions, le piège tendu par un traître ne se serait pas refermé sur Jean...
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C'est René Corbin, alors trésorier-payeur général du Loiret, un ancien, lui aussi, du cabinet de Pierre Cot, qui avait courageusement prêté son appartement pour cette première réunion... Chambeiron et moi n'assistâmes donc pas à l'ensemble des débats qui furent rondement menés : nous étions obligés d'en assurer la protection à la sortie, en faisant le guet, dans la rue. Nous avions décidé de n'être pas armés. Les seules armes légères dont nous aurions pu avoir à nous servir en cas de danger auraient été inefficaces si un piège nous avait été tendu... En revanche, porteur d'un pistolet, nous aurions pu tomber par hasard, victimes d'une fouille inopinée et intempestive comme il s'en produisait souvent...
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Participaient à cette réunion Max (Moulin), qui présidait et,
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pour Ceux de la Libération, Coquoin ;
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pour le Front National. Pierre Villon ;
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pour Libération-Nord, Charles Laurent ;
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pour Franc-Tireur, Claudius-Petit ;
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pour l'O.C.M., Jacques-Henri Simon ;
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pour Combat, Claude Bourdet ;
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pour Ceux de la Résistance, Lecompte-Boinet ;
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pour Libération-Sud, Pascal Copeau
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pour le Parti Radical, Marc Rucart ;
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pour la Fédération Républicaine, Debû-Bridel qui remplaçait Louis Marin ;
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pour le Parti Communiste, André Mercier-Guilloux ;
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pour le Parti Socialiste, André Le Troquer ;
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pour les Démocrates-Populaires, Georges Bidault ;
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pour l'Alliance Démocratique, Joseph Laniel ;
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pour la C.G.T., Louis Saillant ;
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pour la C.F.T.C., Gaston Tessier.*
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* Je pense que cette liste est exacte. Toutefois, au cours des mois, des changements intervinrent, au hasard des disponibilités ou des arrestations. Pendant la période clandestine, outre son président (Jean Moulin, puis Georges Bidault), le C.N.R. compta 16 membres; j'en exerçais le secrétariat général (au sens où, à côté d'un préfet et sous son autorité, il y a un secrétaire général) et j'eus Robert Chambeiron pour adjoint. Les secrétaires n'avaient naturellement pas voix délibérative et ne prenaient pas part au vote.
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Moulin après une courte allocution, lut le message-programme que de Gaulle avait adressé au C.N.R. : « Dans cette guerre où la patrie joue son destin, la formation du Conseil de la Résistance, organe essentiel de la France qui combat, est un événement capital. »
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Une brève passe d'armes intervint, en ce qui concerne la tactique de l'action immédiate préconisée depuis longtemps par les communistes et appliquée par les F.T.P. du Front National mais que certains se refusaient à envisager. Les communistes préconisaient aussi, parmi les moyens de lutte contre l'ennemi, l'usage de la grève que d'autres réprouvaient, pensant que cela évoquait trop les luttes sociales...
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Avec l'accord de Moulin, Bidault avait préparé une motion qui, pour couper court aux divergences, fut rapidement présentée et adoptée... Moulin avait hâte que la séance fût levée, à la fois pour éviter des discussions qui auraient pu troubler l'unanimité réalisée et pour des raisons de sécurité : tant de hauts responsables réunis, quelle proie c'eût été pour la police de Pétain ou les services allemands.
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Et nous les savions bien renseignés... Une de mes connaissances, Gazier, qui travaillait à la préfecture de la Seine, un parent d'Albert Gazier, m'avait prévenu qu'un de mes amis avait parlé sous la torture et avait dit : « Meunier, Finances »... Et encore, si Moulin pensait déjà qu'il était identifié, nous ignorions qu'alors même que nous étions réunis, Kaltenbrunner, le Führer du R.S.H.A. (l'ensemble des polices allemandes) adressait un rapport à Hitler : l'organigramme de l'Armée Secrète était entièrement connu...
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Mais en cette soirée du 27 mai, à Paris, l'heure n'était pas au doute. Et quelques jours plus tard, rendant compte au général de Gaulle, Moulin écrivait : « Certains mouvements qui, malgré tout, avaient conservé à l'égard Conseil quelques préventions semblent, maintenant, avoir compris 1'intérêt de cet organisme et le poids qu'il peut avoir. »
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La mission fixée par les « Nouvelles Instructions » de février 1943 était accomplie..... Mais dès la fin du mai, au lendemain de la réunion de la rue du Four, Jean Moulin se sentit obligé de partir pour la Zone Sud : l’ Armée Secrète lui causai des soucis....Je ne voyais pas ce voyage d’un bon oeil.. Jean ne voulut rien entendre de mes objections... Avant qu’il ne partît, Simone et moi déjeunâmes avec lui ....
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......Sur le pas de la porte, tout juste après avoir embrassé Simone dont le visage reflétait l'inquiétude, il lui dit, sur un air désabusé : ---------
— Voyez-vous, Simone, depuis le 17 juin 1940, je suis un mort en sursis. ---------
Je l'entends encore...
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Je l'accompagnai jusqu'à la station de métro Rome. Il me regarda en riant :
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— Je serai de retour le 20 juin, pour mon anniversaire ! J'ai apporté une bonne bouteille de gnole de Saint-Andiol ! De la bonne ! On fêtera ça...
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Mais je sentais bien que, malgré son rire, il était inquiet. Il savait, il me l'avait dit en passant, comme s'il n'y attachait pas une particulière importance, que par des imprudences — pas par trahison, avait-il précisé, des imprudences — une circulaire des M.U.R. était tombée entre les mains de la Gestapo qui avait beaucoup appris sur l'activité de Max (Moulin) et de Vidal (Delestraint).
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Mais j'ignorais que, dans un télégramme en forme de testament adressé à Londres dès le 7 mai, il avait écrit :
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«Je suis recherché maintenant à la fois par Vichy et la Gestapo qui, en partie grâce aux méthodes de certains éléments des mouvements, n'ignore rien de mon identité ni de mes activités. Je suis bien décidé à tenir le plus longtemps possible, mais si je devais disparaître, je n'aurais pas le temps matériel de mettre au courant mon successeur. »
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Je le quittai donc à l'entrée du métro.....Malheureusement, le 9 juin, le général Delestraint — qui avait un rendez-vous avec Hardy — fut arrêté à Paris, au métro La Muette, à la suite d'une défaillance d'Aubry......Jean dut rester à Lyon pour faire désigner le successeur de Delestraint... Je ne l'ai jamais revu.
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Le 22 juin, place Saint-Michel, Daniel Cordier, qui, remplacé par Graaf, venait de quitter le secrétariat de Jean Moulin en Zone Sud pour exercer cette fonction en Zone Nord et avec qui j'avais rendez-vous, m'annonça : « II a été arrêté»
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Pages 103 à 111

 

Témoignage de Jacques Lecompte-Boinet

Voici des extraits du compte rendu que fit de la réunion du 27 mai 1943,Jacques Lecompte-Boinet, alias Mathieu l’un des fondateurs du mouvement « Ceux de la Résistance » ( CDLR) qu’il représentait au sein duConseil National de la Résistance,
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«Ce 27 mai 1943, à quatorze heures, nous nous trouvons réunis rue du Four dans un salon très petit-bourgeois(1), résistants et hommes politiques arrivant par petits paquets, conduits par les secrétaires de la délégation .Entre résistants et hommes politiques, l'atmosphère ne paraît pas très chaude : ces derniers, tout heureux de retrouver d'anciens collègues élus du peuple, affectent de traiter avec condescendance ces nouveaux venus qui ont le toupet de se prétendre leurs égaux et qui ont même fait quelques difficultés pour les accueillir. Dans la salle à manger, un groupe travaille autour de la table à la rédaction d'un document et discute les termes de la dernière phrase…
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A deux heures et demie, Bidault ayant terminé, d'accord avec nous, la rédaction du texte, nous prenons place autour de la table de la salle à manger éclairée au centre par une suspension de style 1900, les rideaux étant clos par mesure de sécurité.
---------Moulin qui préside commence par rappeler les buts de la France Combattante :
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1) Faire la guerre ; 2) Rendre la parole au peuple français ; 3) Rétablir les libertés républicaines ... ; 4) Travailler avec les alliés à l'établissement d'une collaboration internationale réelle.....
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[Puis] dans un silence où chacun n'entend que les battements de son coeur, [il lit ] le texte du message spécialement adressé au Conseil par le général de Gaulle. Un silence émouvant accueille ces paroles. Bidault donne ensuite lecture de sa motion. Rédigée suivant les instructions de Londres en accord avec Moulin, elle affirme qu'il faut ,au plustôt, à la France «un gouvernement unique et fort, qui coordonne et ordonne», et qui soit confié au général de Gaulle, le général Giraud assumant le commandement de l'armée française ressuscitée .
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Tout le monde n'est pas d'accord sur l'opportunité de remettre la gérance des intérêts de la nation à de Gaulle, [notamment les communistes, en la personne de Villon qui, selon Lecompte-Boinet présenterait les quelques observations suivantes] :
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« Cette formule, dit-il, ne tient pas compte de la réalité. La réalité, c'est que de Gaulle est incapable de prendre effectivement le pouvoir entre ses mains puisqu'il est à Londres et Giraud à Alger. Vouloir subordonner un des généraux à l'autre et Giraud à de Gaulle est une utopie d'autant plus grande que seul le subordonné aurait le pouvoir effectif sur les départements français actuellement libérés. Nous sommes des réalistes et nous ne pouvons pas ne pas dire que ce parti est quelque peu chimérique. »
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Cette hostilité à l'égard de De Gaulle provoque des protestations assez véhémentes, au point que Moulin doit opportunément rappeler nos collègues à une plus stricte observation des règles de sécurité, les engageant au moins à parler un peu plus bas ....
-------- Cette observation paraît avoir un effet salutaire et la formule Bidault reçoit finalement l'approbation unanime, tout le monde étant d'accord pour confier la gérance des intérêts de la nation au général de Gaulle, à charge pour celui-ci de donner le commandement militaire au général Giraud ....
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Nous avons tous le sentiment d'avoir accompli un acte d'une très grande portée .... Et, très ému, je dis à Coquoin (2), avec lequel je descends l'escalier :
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« Après avoir vécu une telle journée, on est regonflé pour longtemps. Oui, me répond-il, c'est l'unanimité nationale enfin réalisée.»
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(1) l’appartement appartenait à René Corbin, ancien collaborateur, comme Jean Moulin, de Pierre Cot, et qui était alors trésorier -payeur général du Loiret. ( 2) Roger Coquoin alias Lenormand, né en 1897, chef du laboratoire de Chimie de l’académie de médecine, entre en relation avec Honoré d’Estienne d’Orves en 1941, puis avec Maurice Ripoche
en 1942, chef de Ceux de la Libération, auquel il succédait après l’arrestation de ce dernier, en mars 1943. Il fut abattu par les Allemands le 29 décembre 1943.
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Journal ( 1939-1966) de Jacques Lecompte-Boinet
( 1905-1974) Fonds Jacques Lecompte-Boinet
Jacques Lecompte-Boinet, ancien élève de l’Ecole des sciences politiques,
employé à la préfecture de la Seine de 1933 à 1943,
entra dès 1940 dans la résistance dans les groupes paramilitaires du capitaine

Guesdon correspondant du mouvement Combat en zone Nord.
Il prit la tête du réseau en février 1942, puis,
suite à la vague d’arrestations qui frappa celui-ci au cours de l’année 1942,
il fonda, début 1943. avec Maurice Ingrand, l’Organisation Nationale de la résistance ( O.N.R)
qui devenait Ceux de la Résistance

Passé à Londres en octobre 1943, puis à Alger, il devint ministre des travaux publics en août 1944.

Charles De Gaulle "Mémoires de guerre" l'Unité

Voici quelques extraits des écrits de Charles de Gaulle « Mémoires de guerre » Tome II L’Unité, 1942-1944 montrant pourquoi et comment ce dernier chercha l’unification de la résistance intérieure :
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Au cours de l'été 1942, s'aggravait la persécution des Juifs, menée par un « commissariat » spécial de concert avec l'envahisseur. En septembre, comme le Reich exigeait de la France une main-d'oeuvre sans cesse plus nombreuse et que les ouvriers volontaires n'y suffisaient pas, on procédait à une levée obligatoire de travailleurs. Le montant total des frais d'occupation atteignait 100 milliards au début de ce mois, soit le double de ce qu'il était en septembre de l'année d’avant. Enfin, la répression allemande redoublait de violence. Pendant ces quatre mêmes semaines, un millier d'hommes étaient fusillés, dont 116 au Mont Valérien. Plus de 6 000 allaient en prison ou aux camps de concentration.
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A mon retour du Levant et d'Afrique, je trouvais, m'attendant à Londres, des témoins et des témoignages qu'on ne pouvait récuser. Frénay, chef de Combat, d'Astier, chef de Libération, me firent leur rapport sur l'action en zone non occupée. Leurs comptes rendus mettaient en relief l' ardeur des organisations et la pression de la base vers l’unité, mais aussi l'individualisme extrême des dirigeants d'où résultaient leurs rivalités. Cependant, en découvrant les obstacles que nos alliés nous opposaient et dont, en France, on ne se doutait guère, en apprenant, en particulier, ce qui allait se passer en Algérie et au Maroc, ces responsables purent mesurer à quel point était nécessaire la cohésion dans la Métropole.
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Je leur donnai pour instruction de hâter la formation, autour de Jean Moulin, du Conseil national de la résistance qui comprendrait les représentants de tous les mouvements, syndicats et partis. Je les pressai, également, de se résoudre à verser à l'armée secrète, qui allait être instituée, leurs éléments de combat. Ceux-ci dépendraient alors, dans chaque région, d'une autorité unique : le délégué militaire, nommé par moi. Pour la zone occupée, je chargeai Rémy d'y porter les mêmes directives à nos mouvements : « Organisation civile et militaire », « Ceux de la Libération », « Ceux de la Résistance », « Libération-Nord », « la Voix du Nord » et même à l’organisation des « Francs-Tireurs et Partisans » qui, menée par les communistes, demandait à nous être rattachée. Bien entendu, nous ne manquions pas de faire connaître à Londres et à Washington ce qu'on nous rapportait de France. Frénay et d'Astier voyaient les ministres et les services anglais, ainsi que les diplomates et informateurs américains.
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Philip partait pour Washington, bardé de preuves de et de documents et chargé de remettre à Roosevelt une lettre du général de Gaulle lui exposant les réalités de la situation française. Mendès-France, évadé de la Métropole, remplissait aux Etats-Unis une mission destinée à renseigner les igorants.
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Félix Gouin, arrivé en août et mandaté par les socialistes, apprenait au parti travailliste que, chez nous, l'ancienne gauche se rangeait à présent sous la Croix de Lorraine. Peu après, Brossolette, revenant de zone occupée, amenait avec lui Charles Vallin, l'un des espoirs de l'ancienne droite et de la ligue des « Croix de Feu ». Vallin, naguère adepte ira régime de Vichy, reniait maintenant son erreur. Ce patriote ardent, cet apôtre de la tradition, se sabrait à moi de toute son âme. Il en exposait publiquement les raisons, puis allait prendre au combat le commandement d'une compagnie.
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Le général d'Astier de La Vigerie, le général Cochet, grands chefs de l'aviation, nous rejoignaient à leur tour. Les communistes n'étaient point en reste; de France, ils s'apprêtaient à envoyer auprès de nous Fernand Grenier, tandis qu'à Moscou André Marty venait voir et revoir notre délégué Garreau pour Iui dire qu'il se tenait à ma disposition.
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Enfin, des hommes aussi divers que Mandel, Jouhaux, Léon Blum, alors détenus par Vichy, ou bien Jeanneney, Louis Marin, Jacquinot, Dautry, Louis Gillet, etc., m'adressaient leurs avis ainsi que leur adhésion.
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Ainsi, quelles que fussent les difficultés immenses de l'action en France, en raison des dangers et des pertes, de la concurrence des chefs, des entreprises séparées de certains groupes qu'employait l'étranger, la cohésion de la résistance ne cessait pas de s'affermir. Ayant pu lui assurer l'inspiration et la direction qui la sauvaient de l'anarchie, j'y trouvais, au moment voulu, un instrument valable dans la lutte contre l'ennemi et, vis-à-vis des alliés, un appui essentiel pour ma politique d'indépendance et d'unité.
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Nous voici aux premiers jours de novembre 1942. D'un moment à l'autre, l'Amérique va commencer sa croisade en Occident et diriger vers l'Afrique ses navires, ses troupes, ses escadrilles. Depuis le 18 octobre, les Britanniques, aidés par des forces françaises, entreprennent de chasser de Libye les Allemands et les Italiens pour se joindre, plus tard, en Tunisie, à l'armée des États-Unis et, peut-être, à une armée française. Là-bas, sur la Volga et au fond du Caucase, l'ennemi s'épuise contre la puissance russe. Quelle chance, encore, s'offre à la France ! Pour ses fils dans le malheur, comme tout serait, maintenant, clair et simple, n'étaient les démons intérieurs qui s'acharnent à les diviser et le mauvais génie qui pousse l'étranger à se servir de leurs querelles .....
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Fin 1942- début 1943, Les allées et venues ne cessaient donc pas entre la Métropole et Londres. Les bureaux de « Canton Gardens », la maison de Duke Street où travaillait le B. C. R. A., diverses demeures discrètes en ville et dans la banlieue, voyaient se glisser sous le camouflage ceux que les avions, les vedettes, les chalutiers, avaient été chercher en France ou s'apprêtaient à y conduire. Au cours des quatre premiers mois de 1943, tandis que la crise africaine battait son plein, notre « Service des opérations aériennes et maritimes » transportait, dans l'un ou l'autre sens, plusieurs centaines d'émissaires et de délégués.
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Notre siège central était rejoint par maintes personnalités; ainsi : René Massigli que je nommai, le 5 février, commissaire national aux Affaires étrangères; le général d'armée Beynet destiné à diriger notre mission militaire à Washington; le général de Lavalade bientôt nommé commandant supérieur des Troupes du Levant; le général Vautrin envoyé en Libye comme chef d'état-major du Groupement Larminat et qui allait, en cette qualité, être tué en service commandé; Jules Moch, qui, aussitôt, prenait à titre militaire son service dans la marine; Fernand Grenier, amené par Rémy à la demande des communistes et qui, sous le contrôle de Soustelle, s'employait à la propagande en affichant un « gaullisme » rigoureux; Pierre Viénot, idéaliste, intelligent, sensible, dont je projetais de faire l'ambassadeur de France en Angleterre quand le Comité national irait s'établir à Alger et qui devait mourir à la tâche; André Maroselli, mis en charge de notre organisation de secours aux prisonniers de guerre, laquelle réussirait à expédier chaque mois plus d'un million de colis; Georges Buisson et Marcel Poimbœuf, délégués respectivement par la C. G. T. et par les Travailleurs chrétiens et formant, avec Albert Guigui qui les avait précédés, et Henri Hauck, mon compagnon de la première heure, une active représentation syndicale.
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Des parlementaires connus : Gouin, Queuille, Fajon, Hymans et bientôt , Jacquinot, Auriol,Le Troquer, Louis Marin se hâtaient, dès leur débarquement de déclarer aux agences, de proclamer à la radio, de répéter aux hommes politiques, diplomates, journalistes, alliés, ce qu’affirmaient, d'autre part, les messages de M.M Jeanneney, Herriot, Blum, Mandel, Paul-Boncourt etc à savoir : qu'aucun gouvernement ne serait concevable, lors de la libération, sinon celui du général de Gaulle. En France même, la résistance, à même qu’elle souffrait et agissait davantage, resserrait son unité. D'ailleurs, l'occupation de la zone qu'on avait dite « libre » effaçait certaines différences et poussait à la concentration. A la fin de 1942, j'avais pu faire la connaissance des chefs de plusieurs mouvements. J'en voyais d'autres, à présent, venus d’une lune à l'autre, émergeant soudain du brouillard de fièvre, de ruse, d'angoisse, où ils cachaient leurs armes, leurs coups de main, leurs imprimeries, aux boîtes aux lettres, et y retournant tout à- coup.
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Au cours de cette période, passèrent, notamment: Cavaillès, philosophe que sa nature eût porté à la prudence mais que sa haine de l'oppression poussait au plus fort de l'audace, jusqu'à ce qu'il souffrît, pour la France, la torture et la mort; Daniel Mayer, méthodique artisan de « l'action socialiste »;
Jean-Pierre Lérv, modeste et résolu; Saillant, syndicaliste de qualité envoyé par Léon Jouhaux. Plusieurs renouvelaient leur visite, tels: Pineau, Sermoy-Simon.
-------- En mème temps, nos propres délégués parcouraient le territoire. C'est ainsi que Rémy, animateur magnifique et organisateur pratique, menant l'action secrète comme un sport grandiose mais calculé, opérait principalement à Paris et dans l'Ouest; que Bingen rayonnait dans le Midi; que Manuel inspectait sur place nos réseaux et nos transmissions. --------
En janvier 1943, Brosolette, un mois plus tard Passy-Dewavrin, [ la mission Brumaire-Arquebuse en zone nord ] gagnèrent à leur tour, la France. Un jeune officier britannique, Yeo Thomas, accompagnait, à notre invitation, le chef du B. C. R. A. afin de fournir au cabinet de Londres des informations directes. Passy et Brossolette, agissant de concert, devaient prendre le contact des diverses organisations, déterminer celles du Nord à faire fonctionner entre elles une réelle coordination, à l'exemple de celles du Sud, préparer l'union des unes et des autres par le moyen d'un conseil commun et d'un seul système militaire. --------
En février, arrivèrent
Jean Moulin, mon délégué la Métropole, et le général Delestraint commandant l’ Armée secrète. Je revoyais le premier, devenu impressionnant de conviction et d'autorité, conscient que ses jours étaient comptés, mais résolu à accomplir, avant de disparaître, sa tâche, d'unification. J'orientais le second, investi d’une mission, à laquelle, à maints égards, sa carrière ne le préparait pas, mais qu’il assumait, cependant avec la fermeté du soldat que rien n’étonne s’il s’agit du devoir. --------
A
Moulin, qui avait longuement préparé les voies, je prescrivis de former, sans plus attendre, le Conseil national de la résistance, où siégeraient les représentants de tous les mouvements des deux zones, de tous les partis politiques et des deux centrales syndicales. L'ordre de mission que je lui donnai réglait cette composition, définissait le rôle du Conseil et précisait la nature des rapports qui le liaient au Comité national. Jean Moulin aurait à présider lui-même l'organisme nouveau. Je le nommai membre du Comité national français et lui remis, dans ma maison d'Hampstead, la croix de la Libération, au cours d'une cérémonie dont aucune, jamais, ne fut plus émouvante. --------
Delestraint, pendant son séjour, put travailler utilement avec les chefs alliés, notamment le général Brook, le général Ismay, l'amiral Stark, qui reconnaissaient en lui un de leurs pairs. De la sorte, l'action de l’Armée Secrête lors du débarquement en France serait, autant que possible, liée aux plans du commandement. L'instruction que le général Delestraint reçut de moi lui fixait ses attributions. C'étaient celles d’un inspecteur, général avant que la grande bataille commençât. Ce seraient, éventuellement celles d’un commandant d'armée, dès qu'il faudrait conjuguer les opérations du dedans avec celles du dehors. Mais, peu de mois après son retour en France, cet homme d'honneur devait être arrêté par l’ennemi, déporté, et, pour finir, hypocritement abattu à la porte d'un camp de misère, offrant à la patrie sa vie qu'il lui avait, d'avance, sacrifiée. Moulin et Delestraint partirent, le 24 mars 1943, pour le combat et pour la mort.
-------- Tant de signes marquant les progrès de l’unité de la France allaient aider à celle de l’Empire. Le Comité national prit, tout de suite, l’initiative des négociations à mener avec Alger....[ c’est à dire le Général Giraud ].
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Dans
la nuit du 15 mai 1943,Philip et Soustelle triomphants m'apportaient un télégramme reçu à l'instant de Paris. Jean Moulin m'annonçait que le Conseil national de la résistance était constitué et m'adressait, au nom du Conseil, le message suivant : « Tous les mouvements, tous les partis résistance, de la zone nord et de la zone, à la veille du départ pour l'Algérie du général de Gaulle, lui renouvellent, ainsi qu'au Comité national, l’assurance de leur attachement total aux principes qu'ils incarnent et dont ils ne sauraient abandonner une parcelle.
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Tous les mouvements, tous les partis déclarent formellement que la rencontre prévue doit avoir lieu au siège du
Gouvernement général de l’Algérie, au grand jour et entre Français. Ils affirment, en outre : que les problèmes politiques ne sauraient être exclus des conversations; que le peuple de France n'admettra jamais la subordination du général de Gaulle au général Giraud, mais réclame l'installation rapide à Alger d’un gouvernement provisoire sous la présidence du Général de Gaulle, le général Girauddevant être le chef militaire; que le Général de Gaulle demeurera le chef de la résistance française quelle que soit l’issue des négociations»
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Le 27 mai, le Conseil national, réuni au complet, 48 rue Dufour , tenait sa première séance sous la présidence de Jean Moulin et me confirmait son message. Ainsi sur tous les terrains et, d'abord, sur le sol de la France, germait au moment voulu une moisson bien préparée. Le télégramme de Paris, transmis à Alger et publié par les postes-radio américains et britanniques et français libres, produisit un effet décisif, non seulement en raison de ce qu'il affirmait, mais aussi et surtout parce qu'il donnait la preuve que la résistance française avait su faire son unité. La voix de cette France écrasée, mais grondante et assurée, couvrait, soudain, le chuchotement des intrigues et les palabres des combinaisons. J’en fus , à l'instant même, plus fort, tandis Washington et Londres mesuraient sans plaisir, non sans lucidité, la portée de l'événement....
-------- [ Dès le 17 mai], le général Giraud me demandait « de venir immédiatement à Alger pour former avec lui le pouvoir central français ». Le 25 mai, je lui répondais « Je compte arriver à Alger à la fin de cette semaine et me félicite d’avoir à collaborer avec vous pour le service de la France »--------[ Toutefois] ce qui m’inquiétait, c’était, dans la métropole, le sort de la résistance. Or, au cours de cette période, la tragédie, frappant à la tête, compromettait son armature et son orientation. Le 9 juin 1943, quelques jours après mon arrivée à Alger, le général Delestraintavait été arrêté à Paris. La mise hors de combat du Commandant de l’Armée secrète risquait d'entraîner la désorganisation des éléments paramilitaires au moment précis où leur chef commençait à les unifier. Aussi Jean Moulin crut-il devoir convoquer à Caluire, le 21 juin, les délégués des mouvements pour régler avec eux les mesures nécessaires. Or, ce jour-là, au cours d'une opération menée par la Gestapo, et, pour le moins, étrange quant aux indications de temps, de lieu et de personnes sur lesquelles elle s’était déclenchée, mon délégué tombait, lui aussi, aux mains de l'ennemi avec ceux qui l'entouraient. Quelques semaines plus tard, il devait mourir à force de tortures. La disparition de Jean Moulin eut de lourdes conséquences. Il était de ceux qui incarnent leur tâche et, qu'à ce titre, on ne remplace pas.


Charles de Gaulle « Mémoires de guerre »
Tome II L’Unité, 1942-1944
Pages 46 à 48, 100 à 104, 114-115 et 178

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