Marie Louise Kergourlay

 

 

Mme Marie-Louise Kergourlay

Vannes vient de perdre une de ses figures de la mémoire contre la barbarie nazie. Marie-Louise Kergourlay est décédée à l'âge de 97 ans. Mme Kergourlay a été membre du Comité national de la FNDIRP. Elle a dirigé l'ADIRP du Morbihan de longues années. Elle a été membre du Comité départemental de l'ANACR et vice-présidente du conseil départemental de l'Office départemental des Anciens Combattants. Elle a été active dans la création de l'Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation dont elle était membre. L'Association des Amis de la Fondation de la France Libre l'a compté parmi ses adhérents. Elle a contribué activement au Comité de liaison du Concours de la Résistance et de la Déportation dans le Morbihan. Elle a régulièrement témoigné dans les établissements scolaires depuis 1982. Elle était Médaillée de la Résistance.

Extrait d'une interview en 2005

«J'ai fait quelques petites actions fin 1941 (distribution de tracts). Mon engagement dans la résistance a été plus déterminé au tout début de 1942 et j'ai agi jusqu'à mon arrestation à Paris. Sollicitée par mon frère Théophile et mon beau-frère, M.Tanneau qui travaillaient à l'arsenal de Brest où la Résistance était déjà bien organisée. Il s'agissait de cacher des armes (dans des cabanons appartenant aux ouvriers de l'arsenal) provenant des premiers parachutages alliés. Je circulais entre Guingamp et Brest. Etant fille de cheminot, je bénéficiais d'avantages pour utiliser le train. Sinon, j'utilisais le vélo.

Au sein de quels mouvements avez-vous agi ?

Les mouvements avec lesquels j'ai fait de la résistance sont : les Forces unies de la jeunesse patriotique, les Francs-tireurs et partisans F.T.P groupe Simone Bastien, et les Forces françaises de l'Intérieur. j'ai fait partie du groupe du commandant Henry (Côtes du Nord) - mouvement FTPF - du 1er mai 1943 au 1er juillet de la même année. Ensuite j'ai agi dans le secteur Seine-et-Marne – mouvement FTPF - du 15 septembre 1943 au 22 février 1944 et enfin dans le secteur de Paris département de la Seine - mouvement FTPF - du 18 août 1944

au 25 août 1944. j'ai été démobilisée le 1er octobre 1944.

Quel rôle teniez-vus dans la Résistance ? Quelles

étaient vos fonctions, vos missions ?

J'ai commencé par former des groupes de trois (les groupes s'ignoraient entre eux sur le département) pour faire des actions précises : rédiger des tracts très courts pour dénoncer les collaborateurs et pour toucher le moral des Allemands. Nous recevions des textes à reproduire également par une liaison venant de l'interrégionale Bretagne FUJP (Forces Unies de la Jeunesse Patriotique), groupe de Simon Bastien.

J'ai distribué des tracts dans les boîtes aux lettres, en volée sur le marché ni vu ni connu, j'ai coupé des câbles téléphoniques et électriques en 1942 toujours par groupe de trois ou de deux si un manquait à l'appel. En août 1943, dénoncée par une personne lors d'arrestations à Guingamp, j'ai dû quitter le département des Côtes-du-Nord et la Bretagne où j'avais commencé à avoir des responsabilités dans le Finistère et l'Ille-et-Vilaine. Je n'ai pas été arrêtée grâce au sous-chef de gare de Guingamp, M. Durand, qui m'a prévenue en revenant

de Brest que j'étais recherchée. Je me rendais à Guingamp pour une réunion de résistants dans un jardin public. Les policiers et les Allemands étaient à la gare. Le sous-chef de gare est venu vérifier les billets (ce qui n'était pas son rôle), à l'époque on devait les présenter à la sortie du train. Il m'a dit de me cacher dans les toilettes de la gare, ce que j'ai fait. Il est venu ensuite me voir et m'a fait un billet de train pour l'endroit de ma planque. Il a ainsi permis que je parte sans que l'on connaisse ma destination. J'ai pris le train discrètement; il

était convenu que j'y monte à la patte d'oie qui se trouvait après la gare. Il fallait prévoir un lieu où l'on pouvait se cacher en cas d'arrestation. Ma planque était située dans le bourg de Plusquellec dans la maison des parents de mon beau-frère. Ils étaient agriculteurs. J'y suis arrivée de nuit et m'y suis cachée trois semaines dans le grenier. Je n'ai pas manqué de reconnaissance envers ces personnes après la guerre.

Ensuite j'ai pris la direction de Paris dans l'illégalité avec de faux papiers et j'ai continué à faire de la résistance dans les départements de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne.( ... ) Je suis restée un mois à l'essai au contact du M.O.I (Main d'œuvre immigrée). ( ... ) J'ai fait des prises de paroles très courtes sous protection dans les bals, les bains-douches, puis toujours taper et diffuser des tracts et des petits journaux tels «France d'abord». j'ai fait de faux papiers pour ceux qui allaient dans les maquis de Seine-et-Marne ( ... ).

Quand avez-vous été arrêtée ? Par qui ?

J'ai été arrêtée dans la soirée du 21 février 1944 lors d'une rafle dans le métro parisien. Nous étions souvent soumis à Paris à la présentation des papiers. Mais là, pour une raison que je ne connais pas tous les passagers du métro ont été envoyés pour être fouillés au château de Vincennes. Les policiers français recherchaient une jeune femme qui avait commis un attentat avec deux hommes (le viaduc de Maintenon avait sauté). Je correspondais à son signalement et j'avais sur moi les faux papiers des trois départements. J'étais pour eux une «belle prise», expression que j'ai entendue dans la bouche d'un policier lors d'un appel téléphonique. La porte étant ouverte, un policier (résistant?) m'a dit de partir. Mais méfiante, je ne l'ai pas fait. Les policiers auraient pu me suivre et arrêter des camarades ou les gens qui me logeaient.

Par qui avez-vous été interrogée ? A quel endroit ?

j'ai été interrogée par les Brigades spéciales à la Préfecture de police de Paris. Il y avait là 2000 inspecteurs français, des tortionnaires. Je n'ai jamais eu affaire aux allemands. ( ... ) Du 21 au 29 février 1944, j'ai été torturée pendant une semaine, jour et nuit, dans une immense salle du 2eme étage de la Préfecture. Je n'étais pas la seule. Je n'ai rien mangé durant cette période. Je pouvais boire en allant aux toilettes. Elles étaient gardées et l'on devait laisser la porte ouverte mais on me donnait à boire. On me tutoyait: «Si tu parles, je te laisserai dormir». Je savais que si je parlais les coups ne s'arrêteraient pas pour autant. Je n'ai jamais donné ni mon adresse, ni ma véritable identité. Je suis donc restée seule dans mon affaire. Je me suis comportée conformément à ce qui était normal mais sous les tortures, il faut avoir un idéal pour tenir ou encore pratiquer une religion et savoir pourquoi nous étions là. ( ... )

Après l'interrogatoire à la Préfecture, on m'a proposée à la prison de Fresnes : «on n'en veut pas de votre cadavre» a-t-on répondu aux policiers français. La prison de Fresnes, dirigée par les Allemands, ne voulait pas de moi car je n'avais pas été prise les armes à la main. j'ai été emprisonnée à la prison de la Roquette à Paris du 1er mars jusqu'au 17 août 1944 avec d'autres «politiques». Nous étions environs 150 séparées des «droit commun». Mais après le 10 août 1944, nous n'étions plus que 50 otages. Les autres détenues ont été déportées ( ... ). Nous étions sous la garde de religieuses. Elles étaient assez humaines envers les détenues. Des doctoresses juives assez âgées, Mme Irène lwardowska-Domanska et Mme Jeanne Oguse-Arager, «oubliées» alors qu'elles «auraient dû» être déportées, m'ont soignée avec peu de moyens.( ... ) Pour m'occuper l'esprit, les détenues me firent préparer une conférence sur le mouvement ouvrier espagnol. Des cours étant dispensés par les détenues, j'ai appris l'espagnol en prison !

Comment s'est déroulée votre libération ?

Qu'avez-vous fait par la suite ?

j'ai relaté ma libération dans le livre de France Hamelin «Femmes dans la nuit, 1939-1944» : «Nous sommes début août ( ... ) la nervosité s'installe parmi nous, les suspicions aussi; en particulier les mères de famille sont angoissées, notre avenir immédiat est incertain ... Qui va partir? Les rumeurs vont bon train. En général les condamnées à plus de deux ans partent pour une destination inconnue, en fait les camps de la mort, via Romainville ...

Un dernier convoi est en préparation juste avant que ne débute la grève des cheminots, le 10 août 1944. Cette fois le tri n'est pas le même. Quel critère a-t-il été retenu pour faire partir une majorité de prévenues à la place des condamnées ? Celles qui restent sont incontestablement des otages, comme dans les autres prisons de Paris. On murmure qu'«ils» ont gardé celles et ceux qu'ils jugent les plus dangereuses. C'est du moins la version officielle, nul ne saura sans doute la vérité.

Notre organisation cependant structurée a été bouleversée par le départ inopiné et imprévu du dernier convoi. Mais d'autres se sont levées pour prendre une place dans ce que nous appelions le triangle de direction qui était chargé de défendre les détenues politiques. j'ai fait partie de cette direction après le départ de ce dernier convoi. J'étais la plus jeune de celles qui restaient et sans charge de famille.

Combien était grande notre responsabilité en ces derniers jours. Nous étouffions dans cette prison dans l'attente d'être fusillées ou libérées. Mais l'idéal qui nous animait pour la plupart prenait le dessus et nous étions encore capables de remonter le moral des plus affaiblies. Même après avoir rédigé notre «dernière lettre», l'espoir continuait à nous guider. Nous harcelions sans cesse la direction.

Nous en avons fait des propositions ! Des dizaines ... pour sortir sans donner l'éveil, ni aux «Droit commun», ni aux gardes mobiles qui entouraient la prison. Finalement notre salut (c'est-à-dire notre libération), nous le devons à notre combat à l'intérieur de la prison (car les multiples entretiens avaient un certain impact), à notre moral, mais aussi à l'appui de l'État-Major de l'insurrection qui a négocié la libération des prisons de la capitale. Le 17 août au soir, nous avons franchi, en silence et en ordre dispersé, les murs de cette prison.

Avec scepticisme... Nous pensions à un guet-apens. Cette idée ne nous a quittées qu'à la libération de la dernière prisonnière. Des points de chute étaient prévus dehors, en particulier pour les provinciales dont je faisais partie. Gisèle Robert m'a accompagnée rue Walt. J'ai repris contact avec l'État-Major de l'insurrection et malgré la fatigue due aux mois de détention et aux tortures infligées par les Brigades Spéciales lors de mon arrestation, j'ai pris une part active à la libération de Paris».

j'ai participé à l'insurrection parisienne en qualité d'agent de liaison à l'Etat-Major, sous les ordres de Roi-Tanguy nous étions nombreux à faire ce travail entre les Etats-Majors de l'insurrection car il y avait beaucoup de blessés et de morts. J'ai eu la chance de m'en tirer. Puis je me suis occupée du ravitaillement de Paris avec le colonel Raynal ensuite j'ai été démobilisée le 1er octobre 1944 pour accomplir d'autres tâches dans la jeunesse. Je n'ai pas

voulu être intégrée dans la 1er armée française qui continuait vers l'est à libérer le pays. J'ai fait partie des 200 F.F.I (Forces françaises de l'Intérieur) désignés et invités par le Roi d'Angleterre après la Libération de Paris, au début du mois de septembre 1944.

J'ai été décorée, entre autres décorations, de la Médaille de la Résistance instituée par le général De Gaulle, grand patron de la Résistance, en 1943».