LES FEMMES ET LA RESISTANCE
Femmes et la Résistance
Une histoire oubliée
Depuis quelques années nous nous posons la question de l’importance des femmes dans la Résistance et leur rôle dans la lutte contre l’occupant allemand. En général, nous pouvons parler d’occultation des femmes dans l’historiographie sur la Résistance. La participation des femmes à la Résistance a été un phénomène longtemps occulté à l’exception de quelques figures élevées au rang d’héroïnes ou de martyres. Mais aujourd’hui différentes sources nous montrent que les femmes ont joué un rôle important. Les historiens de la période de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation sont confrontés depuis de nombreuses années aux problèmes posés par la relation aux témoins, par les multiples discours et l’usage des mémoires. En gros, cette dissertation est divisée en deux parties. Dans la première partie nous traitons les sujets liés aux travaux des historiens sur la Résistance. Quelques sources primaires et sources secondaires des femmes sont introduites et leur rôle pour mettre en lumière la participation des femmes à la Résistance. Dans ce contexte le travail d’historien est difficile parce qu’il doit réfléchir dans son travail au problème de la transmission du souvenir et de la mémoire. Il doit analyser et évaluer la fiabilité des sources. Dans la dernière partie la question posée est si les femmes sont « un parent pauvre » de la Résistance. Nous analysons la place et le rôle de la femme dans la société. À cette époque les femmes sont marginalisées, elles n’ont ni droit politique, puisqu’elles ne votent pas et ne sont pas éligibles, ni partage de l’autorité familiale. Les actions des femmes à la Résistance sont diverses, elles ont par exemple hébergé les clandestins, elles ont caché des soldats des armées alliées, transporté des journaux clandestins et elles ont participé à l’organisation des réseaux et des mouvements. Malgré leur participation dans la Résistance très peu de femmes sont récompensées par des décorations, seulement six femmes sont reconnues compagnons de la Libération contre 1024 hommes. Ensuite, nous mentionnons les raisons possibles pourquoi les femmes sont oubliées dans l’historiographie et si la participation des femmes a permis de faire évoluer le statut de la femme dans la société française d’après-guerre.
Dans un village de Bretagne, une jeune fille de dix-neuf ans écoute la radio. Avec elle, son père, officier de réserve de la "Grande Guerre", sa grand-mère, qui a pleuré en apprenant le désastre de Sedan, son frère de trois ans plus jeune. Bouleversés, ils écoutent la voix d’un très vieux maréchal annonçant qu’il faut cesser le combat. L’indignation, la honte s’emparent des auditeurs. La jeune fille demande à son père si ce n’est pas un espion allemand qui se fait passer pour le maréchal Pétain. « Dès ce moment même, je suis devenue "résistante". Je ne sais pas comment, mais au fond de moi-même j’ai refusé l’inacceptable. Mon père m’avait fait lire "Mein Kampf". Je sais que l’envahisseur de mon pays obéit à une doctrine ennemie des droits de l’homme. Tuer, réduire en esclavage tous les peuples qui ne sont pas de la "race germanique", tel est son programme » (De Gaulle Anthonioz, Geneviève). Ceci est un récit de Geneviève de Gaulle, fille du frère aîné du général de Gaulle. Elle a participé à la Résistance. Elle a eu la Croix de Guerre et la Médaille de la Résistance et elle a été la première femme à recevoir la dignité de Grand-Croix de la Légion d'honneur.
En déclarant la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939, la France tombe dans une situation qu’elle a mis toute son énergie à éviter. Le gouvernement entre-deux-guerres veut à tout prix empêcher la répétition de l’abominable massacre de 1914-1918. Mais, en effet la France a déclaré la guerre mais elle ne la fait pas. De septembre 1939 à mai 1940, c’est la « drôle de guerre », la guerre sans combats (Berstein, 1996). En automne1940, la France est vaincue. Philippe Pétain rencontre Hitler à Montoire. La défaite prend un visage, par exemple celui d’un Paris occupé où déambule l’occupant, et où les panneaux de signalisation des grands lieux de la capitale sont rédigés en allemand. L’ennemi est là. Son dispositif d’oppression et de pillage se met en place avec la complicité de Vichy: censure, interdiction, saisies, épuration raciale et politique à l’initiative de l’État français, attaques de la République, mise en cause de ses valeurs par les idéologues du nazisme et de la Révolution Nationale (« Dossier histoire »,n.d.). Pour Pétain domine l’idée qu’il faut fonder l’État sur les principes chrétiens, remettre en honneur la famille et l’enfant, redonner au travail sa valeur. Il marque d’ailleurs sa préférence pour ce qui lui apparaît comme les formes les plus pures du travail, l’artisanat et le travail de la terre (Claude Chabrol), (Berstein, 440, 1996). La Révolution nationale est construite autour de la devise « Travail, Famille, Patrie » qui remplace pendant quatre ans la devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». À partir du printemps 1941, en effet, la vie quotidienne des Français devient de plus en plus difficile. Outre la privation des libertés comme la liberté de la presse et la liberté de l’opinion, le Service du Travail Obligatoire (STO), la présence de troupes d’occupation, les Français doivent subir les rationnements: la ration alimentaire, définie selon les besoins minimums de chacun est souvent insuffisante, surtout dans les villes (Berstein, 1996). Le peuple est confus, confronté à la présentation, sans ordre de collaboration ou de résistance. Que faire ? Désobéir ? Résister ? Attendre ? Collaborer ? Dans ce tourbillon où les Français étaient plongés, la vie quotidienne leur posait des problèmes insolubles. Dans cette situation en France et après l’appel de Charles de Gaulle le 18 juin 1940 qui sera l´espoir de tous ceux qui continuent le combat, la Résistance est née, le regroupement des Français qui rejettent l’armistice et la collaboration (Rudelle, 39, 1990 ). Des hommes et des femmes résistent et passent à l’action. Mais il semble que la Résistance n’ait pas réuni plus que 3% de la population française. Les motivations des résistants étaient diverses : refus de la défaite et de l'occupation allemande, refus du régime de Vichy et de la collaboration, refus de la répression et des mesures antisémites et la volonté de combattre pour libérer la France. Nous pouvons dire que les prolongements de l’appel du 18 juin 1940 seront innombrables, épiques et héroïques (Thibault, 2006). On pense souvent que la Résistance est une affaire d´hommes puisque c’est une guerre, un terrain qui échappe largement à la nature féminine. C’est bien une guerre, mais d’un type particulier: une guerre clandestine, une guerre totale, dans laquelle tous les domaines de la vie sociale sont impliquées. Les femmes ont participé, elles ont été nombreuses à lutter à côté des hommes. Elles se sont souvent livrées à des activités qui n’ont pas toujours laissé des traces, parce qu’elles faisaient partie de leur activités habituelles liées à l’hébergement, la nourriture, la dactylographie et le secrétariat. À cette époque les femmes sont marginalisées, elles n’ont ni droit politique, puisqu’elles ne votent pas et ne sont pas éligibles, ni partage de l’autorité familiale. Depuis quelques années on se pose la question de l’importance des femmes dans la Résistance, leur rôle dans la lutte contre l’occupant allemand (Thibault, 2006). L’histoire, le souvenir de la Résistance et la légende ont toujours occupé une place dans la mémoire collective des Français. Les historiens de la période de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation sont confrontés depuis de nombreuses années aux problèmes posés par la relation aux témoins, par les multiples discours et l’usage des mémoires. Mais quelle est la différence et la relation entre l´histoire et la mémoire ? En bref, on peut dire que l´histoire cherche à savoir, mais c’est aussi l´ensemble des événements du passé et le récit de ces événements. La mémoire est plutôt la capacité de se souvenir, à mémoriser des images du passé. La mémoire peut devenir une source de l’élaboration du récit historique. Mais comment alors se fier à un récit individuel, sélectif, partiel pour construire une approche collective qui est celle de l’historien ?
Dans cette dissertation nous allons, tout d’abord, étudier des sources sur les femmes dans la Résistance et la relation entre la mémoire et l’histoire et le rôle des historiens dans ce contexte. Puis nous allons essayer d’analyser la place et le rôle de la femme dans la société à cette époque. Enfin, nous nous pencherons sur des femmes d’actions dans la Résistance. Parmi les Compagnons de la Libération, on ne compte que six femmes pour 1030 hommes. Est-ce que nous pouvons dire que les femmes, sont « un parent pauvre » de la Résistance ?
Quelles sources sur les femmes peut-on trouver ?
Tout ce qui a été créé au moment même où s’est passé un événement ou peu de temps après. Ces sources sont souvent rares et uniques. Les gens se fondent sur les documents originaux, les témoins du passé pour recréer les histoires qui ont eu lieu dans le passé. Il y a les archives judiciaires comme les lois de Vichy, les journaux personnels, les lettres, les films, les témoignages directs publiés, les magazines (Eamon, M. 2008).
Les Français ont commencé à écrire l’histoire de la Résistance dès octobre 1944 avec la création de la Commission pour l’histoire de la Libération de la France. Il y avait des gens qui pensaient alors que si on ne conservait pas tout de suite les témoignages des participants, on ne pourrait pas conserver cette histoire. On a collectionné des témoignages et on a écrit des monographies. Au lendemain de la Libération sont parus divers ouvrages en forme de mémoires, de brochures commémoratives, de livres d'histoire consacrés à la Résistance, dont un certain nombre évoque le rôle des femmes. Mais cette production est devancée de loin par une littérature historiographique et mémorielle à dominante masculine. Si la présence des femmes se tisse à travers la mémoire collective et individuelle, mais elles sont rarement l’objet de recherche à proprement parler. Une exception importante est celle de l’historiographie communiste qui évoque le rôle des femmes au sein du mouvement national de la Résistance et qui fait de Danielle Casanova, femme emblème de la Résistance de la Libération des femmes, une héroïne de la Résistance (Colaruotolo, 2001). Malgré cela, il y a des exemples, dès la Libération où les femmes ont écrit et publié leurs souvenirs. Parmi les ouvrages les plus précoces, nous pouvons mentionner quelques-uns: Combattantes sans uniformes d’Elisabeth Terrenoire (1946), Cinq parmi d'autres d’Edith Thoams (1947), Notre guerre d’Agnès Humbert (1946), Les Femmes héroïques de la Résistance, Bertie Albrecht et Danielle Casanova de Louis Saurel (1945). Pourtant, des résistantes avaient écrit leurs souvenirs au lendemain de la guerre, selon Dominique Veillon, une historienne et spécialiste de la Résistance, les historiens ne leur avaient guère prêté attention (Brive, 1995) , (Douzou, 2009). Les archives de toutes sortes comme judiciaires sont des sources primaires mais ils ont une durée générale d’inaccessibilité. Pour les documents touchant à la vie privée ou aux intérêts nationaux, une inaccessibilité de soixante années est de rigueur ce qui si on l’applique logiquement au cas de la Seconde guerre mondiale, signifierait qu’une ouverture générale de ces fonds n’a eu lieu qu’en 2005. Les documents concernant la justice demeurent cent ans sous clé. Nous avons beaucoup appris grâce à la classification des archives de la période de la Seconde guerre mondiale. Les dernières années, avec l’accès libéral à toutes sortes de documents a favorisé la publication d’un grand nombre d’ouvrages. En France les archives publiques sont ouvertes à toute personne s’intéressant à l´histoire de la Seconde guerre mondiale et tout particulièrement à l’histoire de la Résistance. Les projets de recherche sur l’activité féminine au sein de la Résistance et le rôle important des femmes dans l’organisation, le fonctionnement et l’établissement des différents réseaux et mouvements se trouvent ainsi confrontés. Du point de vue des sources, c’est un problème classique et fondamental de l’histoire de la Résistance. Dès la libération de la France, pratiquement tous les mouvements ont commencé à dresser la liste officielle de leurs membres. Ce fond comprend des dossiers personnels, des lettres d’attestation et autres certificats. Dans ces documents sont décrites de manière détaillée la nature et la durée de l’activité des personnes concernées (Gilzmer, 2003). Les journaux, comme par exemple l’Écho de la Résistance, sont aussi des sources primaires qu’on peut utiliser. En mai 1945 par exemple il y avait une annonce aux femmes de la Résistance. Il existe en France un grand nombre de musées et de centres de documentation consacrés à l´histoire de la Résistance dont l’accent est mis la plupart du temps sur les aspects de l´histoire régionale (http://www.aeri-resistance.com/html/histo.htm). Il y a aussi des sources audiovisuelles comme les films de propagande, par exemple L’œil de Vichy, où en le voyant on sent l’atmosphère dans la période de Vichy et le rôle de la femme dans ce contexte. Il y a donc en ce qui concerne l´histoire des femmes dans la Résistance suffisamment de ressources documentaires, même si elles se trouvent dispersées (Gilzmer, 68-69, 2003). Il semble que les femmes qui ont participé à la Résistance n’ont pas beaucoup témoigné pendant les années après la guerre. Mais cela a changé. À partir des années 1970, les femmes ont pris la parole, redoublant de volonté de porter témoignage.
Les manuels d’histoire, les biographies, les films racontant des événements historiques sont des exemples de sources secondaires. Ils racontent un événement qui a eu lieu il y a un certain temps (Eamon, 2008). C’est la conjoncture des années 1970 qui marque un point tournant dans l’historiographie des femmes dans la Résistance. La parution de mémoires à partir des années 1980 nous le laisse croire, car un certain nombre d’entre elles commencent à décrire dans leurs propres mots et selon leur propre logique, leur parcours résistant. Il fallait que ces expériences soient racontées et écrites avant que disparaissent ceux qui l’ont vécu. Nous pouvons dire que c’est en prenant la parole que les femmes ont commencé à exister dans la Résistance. Dans l’histoire de la Résistance, nous rencontrons souvent des biographies arrangées, car les résistants sont souvent transformés en martyrs, en même temps nous parlons souvent de victimes, c’est-à-dire de personnes ayant subi de grands malheurs. La publication des livres d’histoire spécifique des femmes a augmenté dans les années 80. La mise en valeur d’un héroïsme féminin qu’elle soit implicite ou explicite, caractérise une bonne partie de la littérature sur les femmes résistantes (Gilzmer, 75 – 76, 2003). Les sources sont surtout des témoignages écrits et oraux des femmes qui ont participé à la Résistance. Souvent dans les biographies, l’héroïne est présentée comme une militante idéale, réunissant toutes les qualités comme dévouement au parti, à son pays, son courage, sa ténacité et ses capacités de travail. Comme pour corriger cette tendance, l'historiographie des années 70 se distingue par son souci de délimiter ce qui est spécifique à la résistance au féminin. Ce sont les femmes «ordinaires», beaucoup plus que les individus exemplaires, qui retiennent l'attention (Gilzmer, 2003).
Il y a aussi quelques films qui sont des sources secondaires, par exemple le film de Claude Berri, L’histoire de Lucie Aubrac (1997). Les événements dans ce film sont tirés du livre Ils partiront dans l'ivresse de Lucie Aubrac. Ce film retrace l'histoire de la vie de Lucie pendant la résistance à l'occupation nazie. Le film est basé sur l'histoire vraie de Lucie Aubrac, surtout l'organisation d'un commando pour faire évader de prison son mari Raymond Aubrac. Un autre film qu’il faut mentionner c’est Les femmes de l’ombre (2008), un film qui traite des événements historiques, la participation des femmes dans la Résistance, la résistance armée. Le réalisateur, Jean-Paul Salomé, rend hommage à cinq femmes qui ont résisté contre les nazis durant la Seconde guerre mondiale. Un autre exemple de source secondaire est une biographie de Lucie Aubrac de Laurent Douzou, un spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France qui a été publié en 2009. Dans cette biographie il crée une narration cohérente à partir de divers documents primaires comme des archives privées de Lucie et son mari Raymond Aubrac tels que des lettres et des journaux intimes mais aussi des articles de presse et des archives publiques. Cela donne un livre parfaitement historique et très documenté sans un style hagiographique (Douzou, 2009). Une différente source secondaire qu’on peut mentionner c’est un livre qui s’appelle Héroïnes françaises 1940 – 1945 de Monique Saigal. Monique est une juive sauvée par une famille de "Justes" (toute personne ayant risqué sa vie pour sauver un Juif en Europe occupée) durant l'Occupation. Dans ce livre elle rencontre et fait des entretiens avec dix-huit femmes de la Résistance. Dans ces entretiens, elle dessine de très beaux portraits de ces Héroïnes françaises, mais parfois elle met trop en scènes l’héroïne ce qui fait de ce livre un récit hagiographique. Elle écrit par exemple « J’ai eu la chance de les écouter longuement, librement, passionnément. Elles sont l’histoire vivante que ce livre se devait de transmettre » (Saigal Monique, 16, 2008). Ces témoignages des femmes qui ont participé à la Résistance sont des sources importantes dans l’historiographie, mais à quel point ?
Les femmes, « parent pauvre » de la Résistance ?
La participation des femmes à la Résistance a été un phénomène longtemps occulté à l’exception de quelques figures élevées au rang d’héroïnes ou de martyres. Dans les mouvements et les réseaux de la Résistance, les femmes occupent le plus souvent des positions qui correspondent au rôle traditionnel des femmes comme assurer la logistique, le ravitaillement et les liaisons de toutes sortes. Les études quantitatives fondées sur la reconnaissance officielle et les décorations après la guerre soulignent la sous-représentation féminine (Fournel, 2004).
- La place des femmes dans la Résistance
Bien que les femmes aient joué un rôle essentiel dans la Résistance française durant la Seconde Guerre mondiale, elles ont souvent fait figures d’oubliées de l’histoire. Probablement, la résistance féminine a du mal à émerger car elle n’est pas toujours identifiée. Mais pourquoi ?
1.a) Le rôle et l’image de la femme à l’époque
Sans minimiser le rôle des hommes dans le combat contre l'occupant et la collaboration de l'État vichyste, c’était plus difficile pour les femmes, compte tenu de leur statut dans la société française de l'époque, pour au moins trois raisons. D'abord, parce que leur statut juridique, politique et social faisait d’elles des marginales de la vie publique. Ensuite, parce que la majorité d'entre elles ne disposaient pas comme les hommes - sauf celles qui appartenaient à un mouvement de jeunesse - de réseaux susceptibles de les préparer à l'aguerrissement physique que donne la pratique des sports et le service militaire. Enfin, parce que l'image traditionnelle de « la » femme, épouse et mère, les liait davantage à la famille, développant, par conséquence, un plus grand besoin de sécurité et un sens souvent profond de culpabilité chez celles que leur action de résistance obligeait à s'éloigner des leurs pour les protéger de la répression ou les privait d'être ou de devenir mères. (Thalmann,2005). Il est vrai que les circonstances dramatiques de la défaite suivie de l’occupation d’une partie puis de tout le pays, sans parler de l’idéologie de Vichy, réactivent les rôles traditionnels assignés aux femmes et les images qui leur sont attachées comme épouses, filles ou sœurs de prisonniers. Il y avait à Vichy une propagande: « VOUS saurez mieux que quiconque comprendre l’impérieuse nécessité de conseiller à ces mêmes fils, a ces mêmes maris, a ces mêmes fiancés, que l´heure de la relève a sonné. Que d’autres mères, d’autres femmes, d’autres fiancées vous sauront un gré infini de leur avoir rendu le cher absent qu’elles attendent depuis 2 ans » et « VOUS dont la vie est faite d’abnégation et de sacrifice »
Les femmes malheureuses et souffrantes, éplorées et désemparées, devenues « chefs de famille » par la force des choses, pour pallier l’absence de l’homme, elles ploient sous les responsabilités et s’épuisent à résoudre les problèmes du ravitaillement, etc. Comme on a dit avant pour la propagande vichyste, les femmes sont une cible privilégiée. Toujours glorifiées dans leur rôle de mère et d´épouse, elles sont, ici incitées à encourager leur fils et leur mari à aller travailler en Allemagne. Historiquement, la place spécifique des femmes mariées est bien celle de femmes au foyer, ce que Vichy accentue: sous couvert d’une politique familiale, on assiste à la généralisation de l’allocation de mère au foyer (loi du 29 mars 1941), à l’interdiction d’embauche des femmes mariées, au durcissement des conditions de divorce, l’avortement, déjà interdit depuis 1920, devient un « crime contre la sûreté de l’Etat ». L’abandon du foyer devient une faute pénale et non plus civile. Le ministère public obtient la possibilité d’engager des poursuites pour adultère à l’encontre des épouses de prisonniers de guerre. La fête des mères créée pour les familles nombreuses en 1920, est officialisée et étendue à toutes les mères à partir de 1941 (Thibault, 2006 ).
Les restrictions de tous ordres sont de plus en plus pesantes, tandis que Vichy multiple les lois pour réduire l’activité des femmes, responsable de la dénatalité et donc pour Vichy de la défaite. Le manque d’enfants de sexe masculins et donc de futurs hommes-soldats était présenté comme l’expression la plus forte de déclin de la France. Les femmes étaient considérées comme coupables et victimes de la dégénérescence. Pendant la guerre, deux droits leur sont supprimés, en 1944, le divorce est interdit pendant les trois premières années de mariage, et même après sauf s’il y avait preuve de sévices graves et répétés, et en 1942 l'avortement est qualifié de crime. Pour Vichy, tout ce qui éloigne les femmes de la maternité est contre nature, immoral et fatal á la patrie. Les femmes allaitantes ont droit à un quart de lait supplémentaire par jour, donc les femmes allaitent les bébés le plus longtemps possible (Thibault, 2006). Naturellement puisque, quand on les interviewe sur leurs actions de Résistance, elles répondent spontanément: « Oh ! Moi, je n’ai rien fait ! », phrase qu’il faut entendre à double sens. Certes, en parlant ainsi, elles se conforment à l’image attendue de la féminité: modestie et discrétion. Mais il serait faux d’en rester à ce niveau d’interprétation. En résistant, elles ont transgressé non seulement les lois en vigueur mais également les lois tacites de ce que « doit » être une femme, d’où le caractère objectivement « hors normes » de leur engagement et qu’avec raison elles ne veulent pas assumer comme tel car il résulte des exclusions ou des limitations de droit ou de fait dans
lesquelles la législation et les pratiques sociales les enfermaient (Brive, 1995). À cause de cela on peut dire que dans cette période de désobéissance, la résistance féminine s’est exercée à deux niveaux. D’abord dans la transgression des règles sociales traditionnelles qui les cantonnaient à la sphère du privé ensuite, à l´égal des hommes, en se mettant hors la loi de Vichy (Gabert, 2000).
1.b) Des femmes d’actions
Malgré leur statut dans la société, les femmes entrent tôt dans la Résistance, souvent bien plus tôt que les hommes, qui sont absents. Pour les femmes, comme pour les hommes, les raisons de l’engagement personnel sont liées à la formation, l’éducation familiale, les engagements de la période précédente comme dans un syndicalisme, combat social et politique, scoutisme, mouvements de jeunesse, lutte contre l’ennemi etc. Mais nous pouvons dire que très vite, c’est par et autour des femmes que s’articule la quotidienneté de la Résistance. Leur but était le même, il fallait chasser les armées nazies et elles ont participé par des moyens variés à la lutte (Thibault, 2006). Les entretiens avec des témoins font apparaître des motivations multiples: le patriotisme, l’antifascisme, l’anti pétainisme, la réaction contre les privations, pour suivre les "copains", ou encore l’amour. Les motivations qui ont animé les résistantes et les résistants sont donc nombreuses. Le non-engagement dans des structures politiques reconnues est une spécificité féminine. L’étude du processus d’entrée dans la Résistance nous montre que les femmes ne participent pas à la sphère politique, qui a joué un rôle important chez les hommes (Gabert, 2000). Des centaines de femmes risquent leur vie pour organiser les chaines de solidarité dans le but de sauver les prisonniers de guerre, des dizaines de chaines d’évasion se constituent dès l’été 1940, on parle de 10.000 à 15.000 prisonniers ainsi sauvés. L’hébergement évolue tout au long de la guerre comme par exemple l’hébergement des prisonniers, des aviateurs alliés, des réfractaires au STO et des Juifs. Aider les individus pourchassés, héberger les responsables des mouvements dans leur déplacement, dissimuler les Juifs vouées à l’emprisonnement constituent l’essentiel de cette mission. Il y a des centaines des témoignages de cette forme de Résistance ce qu’on peut appeler une résistance sans armes. Il y a beaucoup d’exemples de femmes qu’on peut citer ici. Par exemple la maison de Céline Rycroft à Argentan, dans les années 1943 – 1944, sert d’abord de boîte à lettres pour les organisations clandestines de la région. C’est aussi un lieu d’hébergement et de refuge pour toute personne dans la clandestinité. Elle est arrêtée le 17 mai 1944, déportée et rapatriée. En France-Compté, Madame Faure ravitaille et héberge les prisonniers évadés ainsi que les Juifs traqués, dès 1940. En 1943, elle entre au groupe Falieu des FTP dans la compagnie Valmy où elle poursuit son action comme agent de liaison. Elle est arrêtée en janvier 1944 et déportée mais elle revient en mai 1945 (Thibault, 52- 53, 2006).
Il existe pourtant des domaines réservés aux femmes. Tel est le cas des mouvements de protestation contre la pénurie du quotidien (Thibault, 62, 2006). Ces manifestations apparues dans les premiers mois de 1942 dans les grandes villes de zone sud revêtent la « forme de protestations collectives de ménagères en colère ». Au moment de l'entrée en vigueur de la loi sur le Service du travail obligatoire du 16 février 1943, les femmes occupent encore de façon significative les premiers rangs des manifestations. Certaines femmes se couchent sur les rails pour empêcher les trains de partir et crient « A bas Laval ! » et « Non à la déportation ! » et bombardent les représentants de Vichy de fruits et de légumes pourris (Douzou, n.d.). En général, ces manifestations mobilisent seulement les femmes, souvent accompagnées d’enfants. Certaines femmes ont rejoint la Résistance par ce canal de la protestation ménagère. Ce qui n’a été à l’origine qu’un mouvement de protestation, s’est donc transformé, pour quelques-unes, en action de résistance (Gabert, 2000).
La presse clandestine n’aurait pas pu fonctionner sans le soutien actif et le travail des femmes. Cela offrait aux femmes la possibilité d’accéder à des champs d’activités traditionnellement réservés aux hommes. Elles étaient responsables de la diffusion, assuraient les tâches de secrétariat, mais dans différents journaux elles sont aussi rédactrices en chef ou cofondatrices comme par exemple Berty Albrecht pour Défense de la France et Combat ou Lucie Aubrac pour Libération. Dans ce contexte il est intéressant de voir que la figure de Jeanne d’Arc a joué un rôle essentiel dans la presse clandestine. Elle est revendiquée par tous les plus importants courants idéologiques de la Résistance comme le symbole de l’affirmation française contre les envahisseurs étrangers. Le simple fait de nommer des figures historiques féminines prouve qu’elles incarnent un mythe resté vivant dans une longue tradition. Une autre figure importante est celle de la mère. On trouve partout des allusions à la mère à la fois fondamentalement pacifiste et nourricière et qui lutte pour donner un avenir meilleur à ses enfants. Mais travaillant dans les journaux clandestins les femmes couraient d’énormes risques. Beaucoup d’entre elles sont arrêtées, déportées et torturées. La seule fabrication, la seule diffusion d’un journal clandestin constituaient une transgression des décrets pris par les Allemands et étaient sanctionné au même titre que la résistance armée (Thibault, 79 – 80, 2006). À côté de cette résistance anonyme qui s’inscrit dans la suite logique du comportement féminin et du rôle que la société réserve aux femmes, se développe une autre forme de résistance, aussi anonyme: la résistance que l’on peut qualifier comme étant hors du statut féminin traditionnel (Gilzmer,100, 2003). Nous avons mentionné la résistance des femmes sans armes mais la forme, plus rare et souvent occultée, c’est leur rôle dans les luttes armées. Jugées souvent incapables de se servir d’armes, les femmes qui passent plus facilement inaperçues avec un cabas par exemple effectuent les repérages des lieux et les transports d’armes et d’explosifs avant les attenants. Quelques femmes sont engagées dans les maquis. Certaines femmes sont spécialistes des explosifs par exemple. Selon les archives et documents de la Seconde guerre mondiale, le nombre connu de femmes tuées au combat ne cesse de s’accroître. (Thibault, 2006). Dans un chapitre sur les femmes d’actions, la meilleure manière de les présenter est de décrire la vie des femmes. Voici la description de la vie de trois femmes actives dans la Résistance. Elles ont différentes rôles et il y a différentes raisons pour qu’elles participent à la Résistance.
Paulette Jacquier dite « Marie-Jeanne » a 22 ans en 1940. Elle a été engagée très tôt comme agent de liaison et elle passe à l’action combattante en formant avec son père un groupe franc à La Frette, multipliant les sabotages sur la voie ferrée Grenoble-Lyon. Après une première vague d’arrestations et de déportations le 7 mai 1944, elle rejoint Alfred Buttin pour réformer un groupe qui attaque un convoi allemand au col du Banchet, le 12 juillet 1944. Un temps dominateur et causant de lourdes pertes aux Allemands, les résistants sont submergés par le nombre et doivent décrocher. Prisonnière à Bourgoin, Marie Jeanne s’évade et rejoint le groupe franc des Chambaran de Paul Porchey. Après que son père est fusillé et quand sa maison est brulée, Marie-Jeanne redouble d’ardeur et d’audace. Elle sera de tous les combats du bataillon de Chambaran, encore au col du Banchet, puis aux abords de Lyon, intégrée comme fusilier-voltigeur dans la Première division française libre, elle participe en première ligne aux combats en Alsace et à l’Authion en avril 1945. Elle est une des rares résistantes à porter les armes et devenir une femme-soldat dans l’armée régulière (Barrière, 2006). Marie-Jeanne y reste jusqu'à la fin de la guerre et c'est dans un Lyon libéré que, le 14 septembre 1944, le Général de Gaulle lui remet la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur avec citation à l'ordre de l'Armée:
"Nature d'élite, d'une modestie rare, d'une énergie indomptable et d'un courage exceptionnel a été, par son rayonnement et son exemple, un des flambeaux de la Résistance du Dauphiné. Émule de Jeanne Hachette, est digne que son nom reste dans les mémoires comme celui d'une des plus pures et des plus vaillantes filles de France…"(Burlat, n.d.).
Danielle Casanova (1909 – 1943) est une Corse et une militante communiste. Elle participe à la création de l’Union des jeunes filles de France (UJFF) en 1936 dont elle devient responsable. Elle est la principale dirigeante de l’organisation et gère son journal, Filles de France. Au déclenchement de la guerre, tandis que son mari est mobilisé, elle reste à Paris et continue ses activités militantes. Quand le Parti communiste est interdit en septembre 1939, elle entre dans la clandestinité. Elle participe à la Résistance et s’occupe notamment de la mise en place de comités de femmes dans tout le pays. Elle est arrêtée en février 1942 et déportée en janvier 1943 à Auschwitz et elle meurt du typhus en mai 1943. En France, Danielle devient une figure emblématique de la propagande en direction des femmes (Gilzmer, 348, 2003). Dans l’histoire elle devient l’incarnation de « l´Héroïne de la Résistance ». L’utilisation d’un personnage héroïque permet aux organisations politiques d’exalter les valeurs constitutives du groupe, de donner une image valorisante de ses militants, de mobiliser ou de susciter l’action comme par exemple Danielle Casanova. Elle a donc fait l’objet d’un culte très intense, il semble que l’exaltation de sa mémoire répond à la nécessité de rendre hommage aux sacrifices des femmes résistantes, dont elle le symbole. Il faut souligner la signification du travail des femmes pour leur indépendance économique, l’autonomie dans la pensée, le développement de la conscience, l’engagement social, et l’encouragement de l’esprit de résistance (Gilzmer, 2003).
Lucie Aubrac née en 1912 dans une famille de vignerons du Mâconnais, vient à Paris pour faire des études secondaires et supérieures conclues par l’agrégation d’histoire. À la veille de la guerre, professeur au lycée de jeunes filles de Strasbourg, elle fait connaissance d’un jeune ingénieur, Raymond Samuel. Elle participe à la rédaction de tracts contre Vichy, et en 1941 elle contribue à la création du journal clandestin Libération qui est consacré à la naissance du mouvement Libération-Sud. Elle rédige les articles et distribue des journaux. Elle participe avec des groupes francs armés à de nombreuses évasions de résistants internés dont la plus fameuse est celle de son mari, arrêté en 1943 avec Jean Moulin. Lucie organise une attaque par un groupe franc, et ils réussissent à les libérer. En février 1944, traqués, ils réussissent à partir pour Londres. En France, Lucie Aubrac est très connue. Elle a continué à lutter pour la paix et la justice, et contre le racisme. Elle a par exemple été vice-présidente de la Ligue des droits de l´homme. En 1970, elle a témoigné contre Klaus Barbie. En 2005, France 3 a passé un film où Lucie racontait sa vie. Ce film montrait par exemple ses visites dans les écoles où elle encourageait les jeunes à lutter contre l’injustice. Elle a une place spéciale dans l’historiographie des femmes dans la Résistance parce qu’elle s’occupe après la guerre de la transmission de la mémoire de la Résistance (Thibault, 2006).
1.c) La participation des femmes à la Résistance – Des influences possibles sur la participation des femmes dans la société après la guerre
L’un des grands paradoxes c’est que les femmes ont assuré leurs devoirs de citoyenne sans en avoir les droits. Dans la déclaration du général de Gaulle aux mouvements de résistance, en 1942, il indique dans la dernière strophe sa volonté de donner le droit de vote aux femmes. « Qu’une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous élisent l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays » (Krivopissko, 2008). Ces mots dans ce tract ont probablement influencé le fait que, immédiatement après la fin de la guerre, il y a eu en France une reconnaissance du rôle des femmes dans la Résistance: les femmes sont présentes dans les discours des hommes politiques et dans la littérature, elles obtiennent le droit de vote et certaines sont appelées à des postes importants (Gilzmer, 345, 2003). En effet, la période qui a suivi la déclaration de guerre a été marquée par une reprise de l’emploi féminin. L’obtention du droit de vote en avril 1944 et une participation active à la Résistance semblent représenter le début de quelque chose de nouveau pour les femmes françaises. Juste après la guerre les femmes sont très présentes (7 à 10 %) dans les comités locaux de libération, dans les conseils municipaux et départementaux nommés par les résistants en 1944. La présence féminine dans la période de libération explique que quelques lois sont votées telle la loi qui permet aux femmes d’accéder à toutes les fonctions judiciaires (« Les femmes et la résistance », n.d.).
Mais il y a différentes opinions sur ce sujet. Quant au droit de vote, aurait-il été possible de le leur refuser plus longtemps ? La Constitution de 1946 confirme l’égalité politique prévue par l’ordonnance du 21 avril 1944: « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Le pas est important mais ne règle pas le double handicap de l’inégal partage des rôles dans la vie quotidienne (Chaubin, 1995).
L’ambiguïté des discours publics sur la féminité est déjà perceptible dans les articles de la Constitution: les femmes sont traitées comme individus dans certains articles, comme mères de familles dans d'autres. Un conflit éventuel entre le rôle maternel et le rôle individuel des femmes n'est même pas imaginé. D'autres contradictions s'y ajoutent. D'une part, la notion de nouveauté et le désir de mettre une distance entre la guerre et l'après-guerre sont très puissants ; d'autre part, la guerre ayant représenté une interruption de la vie normale, le désir d’un « retour à la normale » est également puissant. La Libération, période où s’ouvre une ère nouvelle est le moment de grandes transformations pour les femmes ; en même temps, la Libération, période d'ajustement dans la vie des couples, n’est peut-être pas le moment pour envisager la transformation des rôles sexués. Un cloisonnement imaginaire séparant public et privé permet à la contradiction entre le nouveau et la normale de passer inaperçue: le nouveau, c'est pour la vie publique, dans le privé, rien ne doit changer. Il s’agit, pour les femmes, d'être à la maison des femmes comme avant, et en même temps de chercher à être femme différente dans la vie publique (Wailly, 2004). La réadaptation à une vie « normale » devait se révéler difficile. Ces femmes avaient changé, plus que la société. La Résistance n’avait fait que renforcer ses convictions premières qui ont été un refus de l’injustice et du racisme sous toutes ses formes. L’engagement dans la Résistance s’est parfois prolongé par un engagement contre l’injustice, par exemple la lutte contre la torture en Algérie, l’engagement dans le Mouvement pour le planning familial etc. (Thibault, 2006). Nous pouvons dire que la Résistance place les hommes et les femmes en position d’égalité, devant des choix analogues.
- Pourquoi les femmes sont-elles oubliées ?
Quelles sont les raisons de l’occultation du rôle des femmes qui ont participé à la Résistance ? En raison d’une conception « sexiste » du rôle traditionnel de la femme et de l´homme dans notre société ? En raison du silence des femmes, qui sont rentrées chez elles après la guerre, estimant qu’elles avaient fait leur devoir ?
2.a) Le monde de la guerre est le monde masculin
Être résistant, c’est résister. Le résistant se définit par l’action. Mais l’action résistante n’est pas uniforme. Elle se décline selon plusieurs formes. Il nous faut donc avant tout envisager les différents types d’actions résistantes. Deux types de formes d’action sont proposés : l’action armée et l’action « civile ». Ces actions sont elles-mêmes susceptibles de subdivisions définies par la spécificité des tâches accomplies: lutte armée proprement dite, sabotages d’installations, liaisons, ravitaillement, pour la première ; propagande, manifestations, grèves, hébergement de clandestins, refus du STO, pour la deuxième. Si la lutte armée qui a été la plus largement étudiée, est unanimement considérée comme action de résistance. Action armée, synonyme d’action glorieuse et en tant que telle, glorifiée ; action civile restée obscure et souvent oubliée, sinon ignorée (Gabert, 2000). Mais le poids des traditions est si fort, aux hommes la charge de la guerre, l’action armée, aux femmes la gestion des affaires de la maison, l’action « civile ». La Résistance féminine est toute entière contenue entre deux pôles, une résistance au quotidien celle de faits essentiels et qui passent inaperçus et une résistance axée sur le rôle réel qu’ont joué les femmes dans le combat clandestin au sein de mouvements, de réseaux, rôle qui commence à sortir des limbes. La division sexuelle des tâches n’est pas modifiée et si l’on veut comprendre l’attitude et la place des femmes dans la Résistance comme dans la société, il faut se tourner vers des phénomènes qui sont à la fois spécifiques et représentatifs (Gilzmer,108–109,2003).
L’image traditionnelle de la femme est celle de l’épouse, mère de famille, loin de bousculer les rôles traditionnelle que Vichy a confortés. Le contexte social et politique de la vie quotidienne d’avant-guerre, comme l’idéologie et la pratique des fascismes, est axé sur la différence biologique à la fois raciale et sexuelle. Le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne, le régime de Vichy, ont tous partagé, à des degrés différents, un système d’idées et une politique d’état calqués sur la différence des sexes. La position particulière que la femme occupe au sein de la société en 1940 la conduit à s’adapter mieux que son compagnon aux modalités de l’action résistante clandestine (Shwartz,1995). Il est courant de penser que la Résistance est une affaire d´hommes puisque c’est une guerre, mais c’était une guerre totale dans laquelle tous les domaines de la vie sont impliqués. C’est pourquoi, le 20 avril 1944, Lucie Aubrac participant à Londres à l’émission Honneur et Patrie diffusée sur les ondes de la BBC affirme: « La guerre est l’affaire des hommes. Mais les Allemands qui ont menacé des femmes et asphyxié des enfants ont fait que cette guerre est aussi l’affaire des femmes. Mais les Allemands et la police de Vichy ne connaissent pas le droit international et cette guerre est aussi affaire des femmes. Nous les femmes de France, avons dès l’armistice pris notre place dans le combat » (Douzou, 156-7, 2009).
L’intrusion des femmes dans un domaine militaire qui n’est pas le leur finit par leur coûter cher. Elles sont accusées de traîtrise par Vichy en se lançant dans la Résistance. En porte témoignage l’exemple de Marguerite Gonnet, devenue chef départemental pour l’Isère, arrêtée en 1942 devant le tribunal militaire de Lyon. Elle n’hésite pas à répondre au président, qui lui demande comment une mère de neuf enfants, comme elle, a pu prendre les armes. « Tout simplement, colonel, parce que les hommes les avaient laissées tomber » (Gilzmer, 2003).
2.b) Quelques raisons qui peuvent expliquer l’occultation des femmes dans la guerre
Les femmes entrent dans la Résistance tout comme les hommes, dans les années 1940 soit car elles refusaient la défaite et l'occupation allemande et qu'elles n'étaient pas d'accord avec le régime de Vichy et la collaboration, soit car leur mari était dans la résistance et qu'elles le suivaient, comme Lucie Aubrac par exemple. Mais les résistantes se sont heurtées à de nombreux obstacles. Elles ont dû constamment faire leurs preuves vis-à-vis des combattants de l’ombre, de leurs camarades masculins. Alors que la France est un pays latin, on y invoque facilement la différence des sexes pour imposer aux jeunes filles un comportement spécifique. Combattre l’ennemi était l’une des activités non traditionnelles qu’une vision stéréotype leur interdisait d’entreprendre (Weitz,1995). Selon ces idées, les femmes n’étaient pas considérées aptes à combattre à cause de leur physique.
Il faut aussi tenir compte du mode de narration particulier de bien des femmes. Beaucoup des femmes ne voulaient pas témoigner. La difficulté consiste à mieux apprécier la place réelle de ces anonymes au sein du combat clandestin. Il semble qu’en agissant, comme elles le faisaient, la plupart de ces femmes n’ont pas eu le sentiment d’appartenir à la Résistance. L’historiographie classique de la Résistance en France ne fait pas ou à peine mention par exemple des manifestations de ménagères. Elles sont largement ignorées par l’abondante production sur la Résistance. Elles ne ressortent pas du répertoire valorisé par la mémoire résistante. Ce mouvement spécifiquement féminin doit être pris comme la principale expression de leur participation au grand mouvement qui entraine le pays derrière la Résistance organisée et la France libre (Gilzmer, 2003). Nous pouvons dire que les femmes sont cachées à plusieurs niveaux. Au nom de guerre de la Résistante s'ajoute son nom de jeune fille, et encore, le cas échéant, son nom de femme mariée. Même en temps « normal », l'homme porte son nom du berceau au tombeau, tandis que la femme a souvent des identités superposées qui correspondent à son état civil - la femme serait dans ce sens toujours en quelque sorte une clandestine. Après la guerre, elles gardent néanmoins le silence. Comme l’a fait remarquer Lucie Aubrac, elles ne parlaient pas de ce qu’elles avaient vécu. Elles éprouvaient une espèce de réticence à relater les atrocités dont elles avaient été les spectatrices ou les victimes. Elles avaient subi toutes sortes d´humiliations. Comment auraient-elles pu raconter leurs épreuves, les tortures, la mort de leurs compagnes ? Qui sait d’ailleurs si elles auraient été écoutées ou crues ? Ce qui intéressait le public, c’était l’héroïsme (Weitz, 1995). Une grande partie des femmes ne se sont pas déclarées comme résistantes et sont retournées dans leur foyer. La plupart d’entre elles ont repris le cours traditionnel d’une vie femme, d’épouse et de mère (Thibault, 151, 2006).
2.c) Une occultation imméritée dans l´historiographie sur le rôle des femmes dans la guerre
En lisant les sources diverses liées aux femmes et la Résistance nous voyons que l’oubli des femmes dans l’historiographie de la Résistance méritait réparation. Ce sont les femmes qui ont composé la masse de « l’armée des ombres » sans laquelle les actions de la Résistance n’auraient probablement pas pu être menées. En temps de guerre lorsque les hommes sont au front ou prisonniers on a tendance à oublier le rôle traditionnel des femmes pour leur confier des responsabilités qu’on leur reprend sitôt la paix revenue. En ce qui concerne la Résistance féminine on peut parler de deux pôles, d’une résistance au quotidien qui passe inaperçu et d’une résistance axée sur le rôle réel qu’ont joué les femmes dans le combat clandestin au sein des mouvements et des réseaux (Gilzmer, 99-100, 2003). Toutes les tâches dans ces types de résistance pouvaient conduire à ’arrestation, à la torture, à la déportation et à la mort. L’histoire de cette période ne saurait pourtant s’écrire sans elles, héroïques au même titre que leurs homologues masculins.
Pendant plusieurs années, l´historiographie de la Résistance a essentiellement été militaire et écrite par des hommes (Thibault, 2006). Par exemple dans le livre d’Henri Noguéres, un historien et un témoin, La vie quotidienne des résistants de l‘Armistice à la Libération (1984), il mentionne à peine les femmes, il y a seulement trois pages où il parle de femmes. Toutefois, c’est à dater des années 1970 quand le féminisme actif et le renouvellement des questionnements historiens cumulent leurs effets que la question du rôle et de la place des femmes dans la Résistance commence vraiment à être posée. Avec l’accessibilité des documents de la Seconde Guerre mondiale et la parole des femmes nous faisons plus en plus connaissance avec l’histoire de la Résistance et le rôle des femmes dans la Résistance. Les années dernières on voit des nouvelles publications consacrées aux femmes de la Résistance où on fait connaissance par exemple avec le pluralisme des femmes de la Résistance. La moitié des femmes dans la Résistance étaient des femmes au foyer et pour le reste toutes les professions étaient représentées. Les paysannes ont été nombreuses à cause des maquis qu’elles ont approvisionnés et pour lesquels elles ont fait des liaisons. Ces femmes de toutes professions, de milieux sociaux très divers, étaient aussi d’âges très variées. Il y avait aussi un pluralisme aussi dans les convictions politiques ou religieuses. Ce qui frappe aussi c’est l’extraordinaire diversité des milieux où est née la Résistance (Thibault, 2006). Cela nous dit que l’histoire écrite sur cette période est assez pittoresque et compliquée. Il faut souligner la signification du travail des femmes pour leur indépendance économique, l’autonomie dans la pensée, le développement de la conscience, l’engagement social, et l’encouragement de l’esprit de résistance (Gilzmer, 2003). Mais comme nous avons dit avant, il est difficile de dire si la participation des femmes à la guerre soit pour quelque chose dans leur accession au droit de vote. Mais lorsqu’elles avaient travaillé dans la clandestinité, les femmes avaient acquis une vision plus large. La plupart d’entre elles y avaient gagné la confiance en soi ce qui était important dans les années suivantes après la guerre. Il semble que l’évolution du rôle des femmes dans la Résistance après la guerre a pris du temps mais aujourd’hui elle fait partie de l’héritage historique. Nous pouvons dire que la Résistance place les hommes et les femmes en position d’égalité, devant des choix analogues. L’action des femmes entre 1940 et 1945 est symbolisée lors du défilé du 18 juin 1945 à Paris où des femmes combattantes françaises et des pays alliés défilent. À la fin de la guerre, les femmes ne sont pas très appréciées et les chiffres suivantes nous montrent qu’elles ont eu peu de reconnaissance. Très peu de femmes sont récompensées par des décorations, seules 6 femmes (dont 4 à titre posthume) sont reconnues compagnons de la Libération contre 1024 hommes. 7,6% des femmes sont membres de Comités départementaux de Libération. Les femmes votent pour la première fois lors des élections municipales du 29 avril 1945 puis lors des élections à l’Assemblée constituante du 21 octobre 1945. Dans ce contexte nous pouvons conclure que la Résistance a contribué largement à l’émancipation des femmes en France. On peut donc dire que la Résistance a permis de faire évoluer le statut de la femme dans la société d’après-guerre.
Conclusion
« Être "résistant", ce n’est pas du passé. C’est refuser encore et toujours l’inacceptable. Tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine : le racisme, la violence, la misère, le mépris de l’autre, son humiliation. » (De Gaulle) Ce sont des mots de la résistante Geneviève de Gaulle. Après la guerre, elle a continué son travail contre la misère et la pauvreté dans le monde. L’engagement dans la Résistance s’est parfois prolongé par un engagement contre l’injustice. Geneviève de Gaulle a présidé l’association des Femmes déportées et internées de la Résistance et ATD – Quart Monde, un mouvement international de lutte contre la grande pauvreté et l'exclusion sociale. Elle se bat notamment pour la reconnaissance des droits des victimes des expérimentations médicales nazies, à Ravensbrück et dans les autres camps (Neau-Dufour, 2010). Il y a toujours des choses inacceptables dans notre société comme par exemple le racisme et la violence. Nous devons y résister et discuter pour essayer de les éviter. C’est pourquoi il est important de garder et maintenir l’histoire de la Résistance vivante pour que nous nous rendions compte de l’importance de combattre l’injustice et ne l’acceptions jamais. Nous pouvons conclure que la mémoire et l’histoire sont inséparables on a besoin des deux pour connaître le passé. La tâche de l´historien contemporain est bien délicate au sein de cette jungle qu’est la politique, faite d’intrigues et d’intérêts opposés. Elle doit essayer de comprendre les drames, les causes de certains actes, et, par-là d’expliquer. C’est important pour l’historien de connaître la vérité, même et surtout celle qui dérange des préjugés, heurte des idées reçues ou des intérêts partisans (Brissaud, 1965). La mémoire de la Résistance et la participation des femmes dans la Résistance est au carrefour des différents types de mémoires de la Seconde Guerre Mondiale, les différents ensembles mémoriaux sont tous convaincus de la nécessité de lutter contre l’oubli. La mémoire fait partie de la construction de l’identité de nos sociétés (Neau- Dufour, 2010). C’est aussi à cause de cela que nous devons connaître toute l’histoire, l’histoire des hommes et des femmes. L’histoire des femmes dans la Résistance est un sujet vaste. Elle demeure aujourd’hui une histoire en chantier.
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Extrait du livre :
Hugvísindasvið
De : Ritgerð til B.A. Prófs
María Björg Kristjánsdóttir
September 2010