ALLOCUTION ARMAND CONAN


Signe le 2 janvier 2014


Monsieur le Préfet,
Madame la Députée, Monsieur le Député,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les parents ou alliés des martyrs,
Chers Camarades et Amis de l'Association Nationales des Anciens Combattants de la Résistance,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Avec une mention spéciale pour les Porte-Drapeaux,

Permettez-moi , au début de mon allocution, de vous demander de bien vouloir consentir à une entorse au protocole en m'adressant d'abord, en ce soixante dixième anniversaire qui est en quelque sorte, une date symbole, à mes camarades de Limatte tombés le 2 janvier 1944, les armes à la mains, face à l'occupant nazi.
Merci de votre compréhension.

A nos camarades de Limatte tombés les armes à la main le 2 janvier 1944 :
- Alphonso, officier, aviateur, Italien.
- Battaglia Paul
- Gianna Joseph.
- Huon Amédée.
Joanni Yvan
Lafond Georges
Perruca Jean
Valcelli Pierre
Venturrucci Serge

A ces martyrs, il faut ajouter les noms des trois Signois : le berger Honnorat tué par les
Allemands alors qu'il se rendait au maquis pour avertir les résistants ainsi que le garde champêtre Jules Sansonnetti et Lucien Basset déportés et décédés dans les camps nazis.
En ce 2 janvier 1944 vous, les résistants de Limatte, vous tombiez (les armes à la main) pour la plus grande satisfaction des occupants nazis, et aussi, hélas, pour la plus grande satisfaction de français soutenant le Maréchal Pétain, qui, les uns comme les autres vous qualifiaient de terroristes ou de mercenaires de l'armée du crime en référence à l'affiche rouge.
Satisfaction des uns, mais reconnaissance profonde, gratitude affectueuse d'une plus grande partie de la population qui bascula définitivement en faveur de la résistance.
La première question qui se pose est de comprendre pourquoi ces résistants, comme ceux de Limatte, se sont levés pour dire Non à l'occupant.
- Par obligation ? : Non
- Par bravade ? : Non
- Par défi ? : Non
Je ne voudrais pas être grandiloquent mais enfin, quand on agit au péril de sa vie comme par exemple :
- Le pasteur Luther King, ou Nelson Mandela, ou comme le Préfet Jean Moulin qui préfère se trancher la gorge plutôt que de se parjurer ou comme Henri Conan, mon frère, fusillé parce qu'il refuse de trahir ses convictions politiques. Ou quand, sur un autre plan, Charles un colonel, refuse d'obéir à son chef le Maréchal et préfère entrer en dissidence.
- Oui, alors on peut se poser la question :
Quel est le lien commun qui unit Luther, Nelson, Jean, Henri, Charles et les résistants de Limatte sinon finalement, la volonté inébranlable de vivre libre, libre et debout comme il se doit à des femmes et à des hommes qui mettent au-dessus de tout ce que nous avons de plus précieux :
- La Liberté,
- La dignité de la personne humaine,
Si mes camarades de Limatte n'ont pas connu l'ivresse de la victoire, les années 1942 et surtout 1943 leur auront apporté, néanmoins l'espérance de la victoire.
Si vous saviez, Mesdames et Messieurs la joie intense que nous avons ressentie à l'époque de l'annonce de la victoire de Bir Hakeim au printemps 1942 et celle de Stalingrad le 2 février 1943 par radio Londres, radio Moscou ou la radio Suisse. Oui, nos camarades avaient le cœur gonflé d'espérance en ce début de 1944 suite aux victoires des alliés mais aussi parce que le 27 mai 1943, à Paris la quasi-totalité des mouvements de la résistance s'unissaient et créaient le Conseil National de la Résistance.
Le C.N.R était un organisme politique (dans le sens grec du terme à savoir « gestion de la cité » et non dans le sens politicien qu'on lui donne trop souvent).
Il comprenait :
- Les représentants des huit mouvements les plus importants de la Résistance :
o Libération Sud, Libération Nord, Organisation Civile et Militaire, Combat, Ceux de la Résistance, Francs-Tireurs, Ceux de la Libération, Front National.
- Les représentants de six partis politiques :
o Parti Radical Socialiste, Démocratie Chrétienne, Fédération Républicaine, Parti Socialiste, Parti Communiste, Alliance Démocratique.
- Les deux centrales syndicales ouvrières existantes : CGT, CFTC.
On notera dans la composition du C.N.R. :
o L'absence des partis politiques de Droite d'avant-guerre.
o L'absence du patronat.
o Mais, chose la plus interrogative, l'absence de femmes qui pourtant ont joué un rôle très très important dans la Résistance.
La portée de la création du C.N.R. sera considérable apportant un appui au général De Gaulle :
o Elle le confortera aux yeux des Alliés face au général Giraud.
o Elle permettra le 29 décembre 1943, la formation des Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.) dont le général en chef sera Pierre Koenig. L'action militaire des F.F.I a été équivalente à 15 divisions du général Eisenhower et son point d'orgue fut la libération de Paris dont l'acte de reddition du général allemand Von Choltitz, gouverneur du Grand Paris, fut signé du côté des vainqueurs par Leclerc et par Rol-Tanguy, colonel F.F.I. représentant la Résistance. La présence de Rol-Tanguy démontrera aux yeux du monde la réalité de la Résistance française et sa valeur.
La soi-disant « armée du crime » (ou « des terroristes ») a été l'honneur de la France. Notons qu'une grande partie des résistants a continué le combat en s'engageant dans l'armée « libre » (DFL ou DB) jusqu'à la victoire finale.
o La deuxième tâche dévolue au C.N.R. fut le rétablissement de la légalité républicaine après la défaite des nazis. Il s'agissait d'éviter que les Américains n'appliquent l'outil qu'ils avaient préparé en formant des cadres chargés d'administrer les territoires libérés à savoir l' AMGOT (gouvernement militaire allié des territoires occupés). Refus catégorique De Gaulle et de la Résistance de l'AMGOT. Le rétablissement de la légalité républicaine en France se fera sous l'autorité du Comité Français de la Libération Nationale qui publia le 21 avril 1944n une ordonnance réglant le problème de la période transitoire (avant que ne soient les élections). Ce rétablissement de la légalité républicaine avec l'aide de la Résistance et de ses comités de Libération se fera à la satisfaction quasi-générale de nos concitoyens.
o Enfin le C.N.R. vota à l'unanimité le 15 mars 1944 le programme social intitulé « Les jours heureux »
Je cite Pierre Villon, membre du C.N.R.
« Ce programme énumérait les mesures à prendre pour une France plus démocratique et socialement plus équitable que celle de 1939. Ce programme condamnait les féodalités de l'argent comme responsable des malheurs de la France ».
Je cite De Gaulle :
« La France veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la Nation, ou les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens dont cependant elle dépendait. Il ne faut pas trouver un homme ni une femme qui ne soient assurés de vivre et de travailler dans des conditions honorable de salaire, d'alimentation, d'habitation, de loisirs, d'hygiène et d'avoir accès au savoir et à la culture. »
Je n'évoque pas le passé par nostalgie mais pour y puiser des motifs pour lutter afin d'entretenir et d'enrichir la mémoire sans laquelle un peule n'a pas d'avenir.
Ces valeurs pour lesquelles les résistants se sont battus et qui ont inspiré les institutions politiques, économiques et sociales de la France libérée à savoir : l'humanisme, la démocratie, la solidarité, l'intérêt général, ces valeurs qui sont l'essence même des mesures préconisées par le programme du C.N.R., mise en place en partie à la Libération, forment encore aujourd'hui, malgré leurs remises en cause depuis plusieurs décennies le socle de notre protection sociale et notre pacte républicain.
Ces valeurs de la Résistance et de la République sont un bien précieux à défendre et à transmettre aux jeunes générations. C'est pourquoi notre association l'ANACR se félicite que l'Assemblée Nationale et le Sénat aient adopté la loi du 20 juillet 2013 qui indique dans son article 3 :
« Les établissements d'enseignement du second degré sont invités à organiser des actions éducatives visant à assurer la transmission des valeurs de la Résistance et de celles portées par le programme du C.N.R »
Enfin pour terminer, vous me permettrez d'évoquer mon cas personnel. A 94 ans j'ai connu, au cours de ma vie, beaucoup de jours heureux :
o J'ai pu me promener tranquillement en « tenant mes enfants par la main » ce qui n'a pas été le cas pour tous les parents de notre planète.
o J'ai pu écouter librement « le chœur des rebelles » du rebelle Verdi, ce qui n'est pas encore possible aujourd'hui pour tous les habitants de notre planète.
o J'ai pu, je peux défendre librement mes opinions ce qui encore aujourd'hui est loin d'être le cas pour tous les habitants de la planète.
o J'ai exercé avec passion un métier que j'ai choisi ce qui encore aujourd'hui est un privilège.
Oui, j'ai connu des « jours heureux » et comme celles et ceux qui entament la dernière étape de leur vie, je me penche souvent sur mon passé. Il me rappelle que je dois ce bonheur, ce grand bonheur, à celles et ceux qui se sont sacrifiés pour que cette utopie du bonheur devienne une réalité. Oui, je leur suis redevable d'une grande partie de mes jours heureux. Par exemple j'en cite quelques-uns : Olga Bancic décapitée à la hache, Guy Mocquet fusillé évanoui, aux gazés des camps et à mes camarades de Limatte.
Je sais aussi que rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse et quand il croit serrer son bonheur il le broie.
Alors, Mesdames et Messieurs, j'ai une dette, nous avons une dette envers celles et ceux qui ont donné leur vie pour qu'on connaisse à chaque saison la joie de voir mûrir le raisin muscat.
70 ans bientôt après la fin de la seconde guerre mondiale les valeurs humaines, démocratiques, de justice sociale, pour lesquelles celles et ceux qu'on a appelés Résistants se sont battus, ces valeurs sont ici et là remis en cause.
Alors, au-delà de nos différences de conceptions politiques, philosophiques ou religieuses nous devons résister, nous devons être des passeurs de mémoire, des éveilleurs de conscience en rappelant ces valeurs de la Résistance. Oui, il faut résister. C'est le sens que j'ai donné à ma vie par exemple en levant bien haut ma banderole de soutien au programme du C.N.R. lors de manifestations non par esprit de boutique ou de « chapelle », si j'ose m'exprimer ainsi, mais par esprit de reconnaissance. Et si c'était à refaire, je referais ce geste.
J'aimais entendre Lucie Aubrac, lors de nos témoignages dans les collèges et les lycées de la région hyéroise conclure son exposé aux exclamations de centaines d'étudiants par cette phrase « le verbe « Résister » est le plus verbe de la langue française et il se conjugue toujours au présent ». Je suis tout à fait d'accord avec elle.
Merci à vous et encore merci, grand merci à nos camarades de Limatte.
Armand Conan