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KERVERNEN 14 JUILLET 1994

 

 

Il y a cinquante ans et pour nous c'était hier !

 

Il y a cinquante ans, en ce 14 juillet 1944, qui serait le dernier 14 juillet de guerre en EUROPE, une aube radieuse se levait sur les collines verdoyantes, dominant le cours paresseux du Blavet, succédant à une période pluvieuse et maussade.

Un coup de feu soudain a claqué, vers KERVERNEN, déchirant le silence, prélude à une tragédie. Robert LE BELLER, MILOU pour ses compagnons, jeune marin de la Royale, venait, sentinelle avancée, de donner l'alerte, avant de tomber glorieusement à son poste de combat.

Instantanément, la campagne figée dans une totale immobilité, s'embrasait sous les rafales rageuses des armes automatiques, le claquement sec des fusils à répétition et les explosions sourdes et violentes des grenades et des projectiles de mortiers. L'impitoyable combat de la 4ème Compagnie du 1er Bataillon des Francs-Tireurs et Partisans, contre un ennemi disposant d'une écrasante supériorité en moyens humains et matériels, entrait dans l’HISTOIRE.

Revenons un peu en arrière. Au 6 juin 1944, date du débarquement allié sur les plages normandes aux noms de code entrés dans la légende, GOLD et SWOE pour les Britanniques, JUNO pour les canadiens, UTAH BEACH et la sanglante OMAHA BEACH pour celles investies par les Américains, telle est la situation des forces respectives en présence en BRETAGNE, c'est-à-dire, d'un côté la seule RESISTANCE, de l'autre les FORCES de l'AXE.

La RESISTANCE regroupe des organismes aussi divers que les réseaux de renseignements, les réseaux de récupération et d'acheminement, souvent par des itinéraires longs et compliqués, des aviateurs alliés abattus au-dessus du territoire français et qu'il faut réintégrer dans la bataille, les diverses missions du SPECIAL AIR. SERVICE, agissant de façon autonome, ponctuelle et parfois hasardeuse, enfin et surtout, les formations de combat engagées plus ou moins dans l'action, selon les directives de leurs états-majors respectifs, et qui, sous le vocable de FORCES FRANCAISES DE L'INTERIEUR, relèvent essentiellement de trois grands mouvements :

l'Organisation de Résistance de l'Année (OR.A.) du Général FRERE, l'Armée Secrète (AS), fondée par le Général DELESTRAINT, enfin les FRANCS TIREURS et PARTISANS, bras armé du FRONT NATIONAL, que dirige un grand français, à qui RENNES a rendu récemment hommage, Charles TILLON.

Quel est le volume chiffré de ces moyens opérant sur les cinq départements bretons ? Sans doute quelques 20000 - 25000 hommes. Pour le seul MORBIHAN, les forces engagées dans l'action de combat se répartissent en 12 bataillons, respectivement placés sous les ordres de JACQUES, CHARLES, ICARE et RUCARD. pour les F.T.P., HERVE, LE GARREC, CARO, ROBO et LE COUTALLER pour l'A.S., MULLER, LE GOUVELLO et LA MORLAIS pour l'O.R.A. Ces formations possèdent des effectifs différents et d’une manière générale, sont peu et mal armées et pratiquement pas équipées, le désintérêt des alliés, à leur égard, étant manifeste, voire même criminel.

L'ennemi puissamment armé et équipé, dispose, quant à lui, sur la seule BRETAGNE, de deux corps d'armée, chacun à 3 divisions, relevant de la 7ème armée (Général DODERMANN). Il s'agit du 74-ème C.A. Général KOLTITZ, PC à GUINGAMP, et du 25ème C.A. Général FAHREMBACHER, PC à PONTIVY. Le 84ème C.A. relevant, lui aussi de la 7ème armée, est intégralement en NORMANDIE, Général MARX, PC à SAINT-LO.

Toujours pour la BRETAGNE, à ces forces considérables, s'ajoutent des formations de renforcement:

  • 3ème et 5ème Divisions Parachutistes, puis dès le 15 juin, 2ème Division Parachutiste, venant du Front de l'Est, du Général RAMCKE, que la 4ème Compagnie saluera à sa façon lors de son arrivée en MORBIHAN, en lui tendant une embuscade, dont RAMCKE échappera lui-même.
  • 353ème D.L - P.C. à
  • Unités dites de l'Est (Escadrons de cavalerie et de cyclistes ukrainiens à 600 hommes, Bataillons d'infanterie de Géorgiens à 800 hommes).
  • 25ème Régiment de Forteresse à 29 compagnies, tenant les ouvrages du
  • deux Bataillons spéciaux, regroupant de légers handicapés
  • Unités d'Aviation (12000 hommes pour le MORBIHAN), de Marine, de C.A., de gendarmerie

soit au total, pour la BRETAGNE, des effectifs de l'ordre de 150 000 hommes.

Au 14 juillet, la bataille de NORMANDIE a nécessairement entraîné le redéploiement d'une partie de ces forces. Mais ce sont encore quelques 100 000 hommes, directement placés sous l'autorité de FAHREMBACHER, qui occupent les départements bretons, dont la 2ème Division Parachutiste de RAMCKE, de sinistre réputation. FAHREMBACHER, terrorisé par l'intensification de l'action de la résistance et la menace potentielle qu'elle représente, s'oppose avec une rare obstination à tout prélèvement d'une partie de ses moyens. Il persiste dans cette attitude, même quand PATTON ayant rompu le front allemand au sud d'AVRANCHES, et la 3ème Armée Américaine s'engouffrant dans la brèche que constitue l'étroit pont sur la SELUNE à PONTAUBAULT, le commandement allemand lance une contre-offensive afin de couper les divisions américaines de leurs arrières, contre-offensive qui échouera, la bataille n'étant pas suffisamment alimentée. Ainsi, indirectement, la Résistance bretonne peut s'enorgueillir d'avoir, même modestement, contribué à cet échec qui va être à l'origine de la libération rapide de la plus grande partie du territoire français. Sans aucune vanité, nous avons le droit d'être fiers de ce qui fut fait et pouvons dire, haut et fort, que les sacrifices des gars de KERVERNEN ne furent pas inutiles.

Investi du commandement du 1er Bataillon des F.T.P., le 6 mai 1944, Louis DORE, commandant JACQUES, dispose très rapidement, outre un léger élément de commandement et de protection, qui sera, après la dislocation du camp de SAINT-MARCEL, le 18 juin, renforcé par un petit détachement de parachutistes du 4ème Bataillon du 2ème R.C.P. formation commandée par le légendaire BOURGOIN, de cinq compagnies de combat, quatre opérant dans un rayon d'une vingtaine

de kilomètres, la cinquième excentrée plus au sud, vers LOCHRIST-HENNEBONT.

Pour sa part ; la 4ème Compagnie qui a drainé essentiellement les groupes de résistance du secteur de BAUD, est forte de 130 hommes environ, soit un petit groupe de commandement et trois sections d'une quarantaine de maquisards chacune. Cinq jeunes filles assurent à l'unité, les délicates fonctions d'agentes de liaison, l'une remplit même, en outre, celle de secrétaire-dactylo. Toutes remplissent leur mission avec un courage, une détermination et une maîtrise de soi, absolument admirables. Je leur redis notre admiration, notre estime et notre affection.

Vers la mi-juillet, la 4ème Compagnie placée sous les ordres du capitaine BERNARD, de son nom Alphonse LE CUNFF, déjà vieux résistant, entreprenant, ouvert et d'un très beau courage, dispose, outre ses trois chefs de section, Georges LE CORVEC, Paul THOMAS, tous deux officiers mariniers, Bénoni LAMOUR, ancien combattant des brigades internationales en ESPAGNE, de trois adjoints immédiats, dont le lieutenant LE TOUZE, appelé CLAUDE, qui assure les fonctions de commandement en second de l'unité. Parmi les maquisards, les plus âgés ont satisfait à leurs obligations militaires, d'autres ont appartenu à l'Année dite d'Armistice, les autres ont abandonné leurs études ou leur formation professionnelle. Tous font preuve d'une rare détermination

Vers le 10 juillet, la compagnie, qui pour des raisons évidentes de sécurité, pratique un nomadisme de tous les instants, s’installe dans le triangle composé par les trois hameaux de KERVERNEN, KERGANT, et KERHUIDE avec PC à KERVERNEN. Les habitants accueillent les maquisards avec une gentillesse et une spontanéité extraordinaire, qui vont droit au coeur des combattants. Et pourtant, ils n'ignorent pas les risques qu'ils encourent ! Ils méritent l'hommage de notre reconnaissance et ont bien mérité de la Patrie, même si celle-ci a parfois négligé de leur exprimer sa gratitude.

Aujourd'hui, en contemplant le paysage qui s'étend sous nos yeux., il est difficile d'imaginer, pour le profane, celui qui nous était familier, en juillet 1944, c'est-à-dire bien avant que le remembrement n'ait saccagé l'équilibre naturel qui régnait alors, même s'il présentait d'inévitables lacunes. A l'époque, les trois hameaux sont nichés dans des écrins de verdure. On y accède par des chemins creux, recouverts d'une épaisse végétation permettant la dissimulation à l'observation aérienne comme terrestre, communiquant tous entre eux et enserrant de petites parcelles de terre, bordées de hauts talus sur lesquels poussent fougères, ronces et autres plantes épineuses, les rendant difficilement franchissables.

Le maquis est bien protégé par son environnement, pour peu que chacun observe une élémentaire discrétion et que l'unité manifeste une mobilité permanente, car elle n'est pas à l'abri d'investigations de gens mal intentionnés à son égard, miliciens, policiers stupides il y en eut, mais également dénonciateurs prêts à tout pour recevoir les trente deniers de JUDAS.

Le 12 juillet et non le 13, comme s'évertuent à l'écrire certains chroniqueurs mal informés, BERNARD est chargé de la réception d'un important parachutage d'armement et munitions, envisagé pour la nuit du 12 au 13, sur la base nommée en code "MALVOISIN", selon un ami maquisard ayant participé à ce parachutage l'opération se serait déroulée dans le secteur de ST YVES BUBRY, qui se situe au coeur du pays POURLETH, soit à quelques 25 kilomètres de KERVERNEN, distance tenant compte des itinéraires en zig-zag, utilisant chemins et sentiers, évitant les axes routiers mal fréquentés, sur ces pistes souvent à peine frayées, la progression est forcément lente et très fatigante. Un détachement de 50 à 60 hommes accompagne le capitaine, prélevé sur les trois sections, effectif minimum indispensable pour assurer la sécurité de la "drop-zone", la réception et la manipulation des containers, l'enfouissement des emballages et des parachutes et, enfin, le transport jusqu'au maquis des lourdes charges d'armes et de munitions, qui font des hommes de véritables animaux de bât. Les trois sections ne disposant encore que d'un seul fusil-mitrailleur par section, c'est celui de KERHUIDE qui est du voyage, les maquisards de cette section ne disposant alors que de leurs seules armes individuelles, fusils anglais 303 et P.M. que nous appelons, à l'époque, mitraillettes.

Dès le retour du détachement en mission., le maquis fera mouvement, soit dans la nuit du 13 au 14, et se transportera à une vingtaine de kilomètres de ses emplacements actuels. Hélas, pour des raisons indéterminées, le parachutage est différé de 24 heures, BERNARD maintenu sur place et le déplacement de l'unité reculé à la nuit du 14 au 15. Ce contre-temps funeste va être terriblement lourd de conséquences.

En effet, renseigné sur la structure et l'implantation du maquis par quel qu’ignoble félon, l'ennemi va disposer de délais, certes courts, mais néanmoins suffisants, pour investir le périmètre des trois villages.

Des enseignements tirés du combat, il ressort que l'informateur à la solde de l'ennemi connaît parfaitement les lieux. Lors de sa mise en place et sa marche d'approche, l'ennemi va, en effet, éviter tous les sentiers et chemins creux. Dans la nuit noire, nos patrouilles, contre lesquelles il se gardera bien d'intervenir, passeront à maintes reprises au travers de son dispositif sans jamais le déceler. Il se tiendra à distance raisonnable des postes des sentinelles qui ne réussiront pas à le détecter à temps. Manifestement, grâce à la trahison, il aura pu monter une opération parfaite dans son utilisation du terrain, qui n'aurait pas été possible par l'utilisation seule des cartes d'Etat-Major.

Robert LE BELLER a été le premier mort de ce tragique 14 juillet 1944. Il était mon ami. Je l'avais admis dans mon groupe de résistance de PONT-AUGAN en février 1944. Il était gai, plaisantait constamment. Il avait un humour particulier qui n’atteignait jamais l’ironie blessante. Courageux, on pouvait toujours compter sur lui. Il est tombé en héros. La Marine, à laquelle, comme son père, il se destinait, peut éprouver une légitime fierté d'avoir su former de tels hommes, dignes héritiers des légendaires fusiliers-marins de l'Amiral RONARC'H.

Le coup de feu de ROBERT a donc donné l'alerte. Aussitôt le combat fait rage sur KERGANT et KERVERNEN où les fermes, incendiées s'embrasent. A KERHUIDE, momentanément épargné, les maquisards regroupés bénéficient d’une dizaine de minutes pour rejoindre, à l’écart du village, une zone de combat qui leur soit plus favorable. Faute de moyens de transmission, le combat ne peut que revêtir une forme décentralisée, avec des variantes d'ailleurs :

A KERVERNEN, dispersion des moyens pour atténuer leur vulnérabilité et mettre à profit l'aspect bocagé du terrain ;

A KERGANT, où les tentatives de percée menées par Bénoni LAMOUR, GUSTAVE au maquis, ont toutes échouées, combat sans esprit de recul, aboutissant, hélas, sauf miracle, au sacrifice suprême;

A KERHUIDE, tentative de manœuvre par un mouvement d'ensemble de la section, visant au contournement des môles de résistance ennemis.

Donc à KERVERNEN, le combat se déroule initialement dans le village même où l'ennemi a presque réussi à s'infiltrer. Le lieutenant CLAUDE, le chef de section, l'Adjudant Georges LE CORVEC et l'Adjudant de compagnie Julien GARRAUD vont réussir, en y mettant le prix, à l'en chasser. CLAUDE entraîne les hommes vers la campagne, où dispersés en petites équipes, se battant avec une énergie farouche, les maquisards auront peut-être quelques chances de s'en tirer. Leur dispersion gêne d'ailleurs l'ennemi qui ne peut efficacement utiliser ses mortiers et qui va commettre bévues sur bévues, ses détachements se fusillant parfois mutuellement, tant l'imbrication des combattants est grande.

CLAUDE est touché d'une rafale de pistolet-mitrailleur et s'écroule. Le protégeant par le feu, le trainant en direction du petit ruisseau qui coule au nord du village, Joseph LE SAUX (Charlot), Robert GUILLAUME (Bobby) et Ange SERVEL (Rapide) vont prouver par leur courage et leur générosité que la fraternité d'armes n'est pas un vain mot. Après une très longue journée de durs combats où l'héroïsme et le don de soi auront été de tous les instants, ils échapperont miraculeusement tous les quatre à l'ennemi et à la mort.

A KERGANT, GUSTAVE que les tentatives de dégagement entreprises par la première section n’aura pas sauvé, se bat contre un ennemi certainement 200 à 300 fois supérieur en nombre qui lui interdit toute possibilité de manœuvrer. Comme à CAMERONE le30 avril 1863 où la lé,gion a inscrit une de ses plus belles pages de gloire, GUSTAVE et ses 25 maquisards vont vendre très chèrement leur peau. Tous vont mourir, écrivant, eux aussi, dans le Grand Livre de la Résistance, une page du plus pur héroïsme. Amis, compagnons, n'oubliez pas ce combat insensé mené pour le Droit et la Liberté. A KERHUIDE, en l'absence du chef de section en titre, Paul THOMAS, retenu auprès des siens, l'initiative du combat revient à l'un des adjoints de BERNARD, GEORGES, plus spécialement chargé à l'unité des divers problèmes que nécessite la sécurité de la compagnie et de son environnement. Ex-élève de l'Ecole Militaire d'AUTUN, après avoir milité dans la Résistance de l'AIN au sein des Forces· Unies de la Jeunesse, il avait dû pour des raisons de sécurité rejoindre le MORBIHAN, le 4· février 1944, et avait aussitôt constitué un groupe de Résistance.

Dès les premiers coups de feu, il s'efforce de prendre contact lui-même avec GUSTAVE à KERGANT, tandis que la section se regroupe à l'écart du hameau. Il n'y parvient pas, pris sous le feu intense de l'ennemi qui encercle KERGANT. Pour tenter de dégager leurs camarades, il ne reste donc que la manœuvre qui puisse réussir. Manoeuvre, un bien grand mot pour définir l'action d'un embryon de section dépourvu de toute arme collective et qui se trouve de surcroît confronté à un terrain bien plus dégagé qu'autour des deux autres hameaux. Atout non négligeable pour le chef de section, il traîne à sa suite l'un des cuisiniers du maquis, un ancien adjudant-chef de la feldgendarmerie allemande en rupture de ban, condamné à mort par la Gestapo pour avoir, sans le savoir, protégé des résistants. Il se nomme Karl WAGNER. La résistance l'a recueilli, mais bien entendu, elle le surveille. Il va se comporter avec beaucoup de sang-froid et de courage, n'hésitant pas, muni du fusil d'un mort, à tirer sur les résistances allemandes. Il traduit à GEORGES dont les connaissances dans la langue de GOETHE sont insuffisantes, les ordres que crient d'une voix gutturale les responsables ennemis, lui permettant d'adapter le mouvement aux réactions de l'adversaire. Le feu vient de partout, notamment des arbres. "Alertés par Karl", dira Georges, "nous arrosons les cimes des arbres d'où les snipers embusqués tombent dans un grand fracas ponctué de cris de douleur. Nous avançons avec une difficulté énorme, accusons des pertes sérieuses et, malgré tous nos efforts et toute notre volonté, nous ne parviendrons jamais à briser le cercle de fer et de feu qui étreint GUSTAVE, et ses maquisards."

Manifestement, l'allemand ne s'attendait pas à une telle résistance. A deux reprises, il appelle des renforts, vers 8 heures, puis vers 10 heures. Il est contraint, maintes fois, à remanier, resserrer son dispositif, supprimant notamment un point d'appui solide, installé à l'Ouest de KERHUIDE, à peu de distance du Blavet. Vers midi, ayant rompu la ligne de feu adverse , c’est précisément au vers de cette position abandonnée, que la première section parviendra à se dégager de la terrible emprise ennemie. Par le pont de chemin de fer de BIEUZY-LES-EAUX, heureusement non tenu, les maquisards franchiront le BLAVET. Ils se compteront 9 avec Karl, ils seront 10 quand Paul MORVAN, qui a perdu le contact, les aura rejoints. Que la jeune fermière, qui en dépit de la proximité du danger, a tenu, sur la périphérie de BIEUZY à les abreuver et les restaurer, soit une fois de plus remerciée. Que les habitants de KERVERNEN, de KERGANT et KERHUIDE, qui vont subir d'odieuses représailles de la part des brutes nazies, nous pardonnent d'avoir mis leurs biens et leurs vies en péril. Jamais nous ne leur témoigneront assez notre gratitude.

Une anecdote dans ces combats qui fourmillent de faits singuliers. Dans son ouvrage, LE MORBIHAN EN GUERRE, Roger LEROUX cite l'action d'un jeune garçon ayant rejoint le maquis le 11 juillet. II s'agit de Lionel DEBRAY, un parisien, ayant milité dans la résistance de la région parisienne, dont le nom sera choisi plus tard, avec 19 autres, par l'Administration des Postes, pour une émission de timbres sur la Résistance. Lionel a manifestement, le 14 juillet, sacrifié délibérément sa vie, en attirant sur lui le feu de l'ennemi, permettant ainsi à ses camarades de décrocher en manœuvrant. II n'était pas chef de section, n'exerçait aucune responsabilité au maquis, comme l'écrit à tort Roger LEROUX. Cela n'enlève rien à l'exemplarité de son sacrifice. Tombé entre les mains des allemands, if sera abattu près de COLPO. Je tenais à saluer fraternellement sa mémoire.

Alerté par le bruit des combats, le détachement de BERNARD, sur le chemin du retour, presse le pas. Exténués, écrasés sous leurs charges, mais la rage au coeur, les gars du Capitaine veulent agir. Le passage vers l'HALIFA d'un détachement motorisé se dirigeant vers KERVERNEN leur en donne l'occasion. Mettant en batterie des fusils mitrailleurs reçus en parachutage, BERNARD tend une embuscade qui sème le désordre et occasionne des pertes chez l'ennemi, contraint au repli.

Le bilan de la journée du 14 juillet 1944, est sans doute très lourd : 75 % des effectifs engagés dans la bataille sont hors de combat, tués, blessés, capturés par l’ennemi. Ces derniers vont connaître une mort affreuse les 18 et 22 juillet, dans le petit bois de BOTSEGALO, près de COLPO, après avoir été odieusement martyrisés dans les geôles de la gestapo de LOCMINE.

Le dimanche 23 juillet, se rendant à la messe, une femme longe le bois du supplice. Elle perçoit un gémissement et s'approchant sous les hautes futaies, elle découvre l'horreur : des corps disloqués, mutilés, souillés de sang. Parmi eux, un jeune homme vit encore. Il va bientôt mourir dans ses bras. Il s'agit de Gaston BRIENT de BAUD, tailleur de son état, grand handicapé physique, agent de renseignements de la compagnie qu'il tient régulièrement informée de l'activité de l'ennemi dans son secteur. Le 13 au soir, il était venu rendre compte de l'activité qui régnait à BAUD chez l'ennemi. Resté au maquis en raison de l'heure tardive, il allait, lui aussi, inscrire son héroïque nom au martyrologue de la Résistance.

Compte-tenu de l'effectif initial, KERVERNEN a coûté à la Compagnie, 45 % de ses personnels et 75 % de ses cadres. Mais l'impact de la tragédie de KERVERNEN, l'héroïsme des maquisards, encore amplifié par la rumeur populaire sont tels que des volontaires affluent chaque jour au maquis qui s'est transporté à LANGUIDIC, vers PONT-AUGAN au départ. Le potentiel initial sera à nouveau vite atteint et l'amalgame, "jeunes, anciens", opéré au niveau de chacune des sections, rendra l'unité opérationnelle dans des délais extrêmement brefs.

Au cours des combats, l'ennemi aura perdu quelques 150 hommes tués, près de 300 blessés parmi lesquels une cinquantaine soignée dans les formations sanitaires de LORIENT ne survivra pas. Mais. au-delà du chiffre des pertes, il faut considérer que le moral de l'ennemi aura été sérieusement

atteint. Il doutera réellement de sa victoire. Un esprit de panique règnera même dans les arrogants états-majors. La crainte sera telle que le moindre déplacement sera dès lors surprotégé, nécessitant des effectifs importants qui seront absents du front de NORMANDIE aux heures cruciales du combat. Incontestablement, l'action des maquisards de la 4ème Compagnie, comme toutes les actions de la Résistance où qu'elles se soient situées, aura raccourci la guerre et épargné bon nombre de vies humaines.

En octobre 1944, au camp de COETQUIDAN où ils seront regroupés après deux mois de durs et incessants combats sur le front de LORIENT, les maquisards du Ier Bataillon des F.T.P., devenu 5ème Bataillon des Forces françaises de l'Intérieur, seront intégrés dans l’Armée Régulière, par deux types d'engagements, l'un pour la durée de la guerre, intéressant au premier chef les plus âgés et les chargés de famille, l'autre à durée déterminée, pour les plus jeunes qui, pour beaucoup, éprouvent une légitime inquiétude pour leur avenir, compromis par l'abandon de leurs études ou de leur formation professionnelle, pour cause de Résistance

Hélas, les instances dirigeantes de la FRANCE ayant été incapables, au lendemain de la Victoire, par incompétence, par veulerie, ou simplement par le souci de la défense d'intérêts personnels se substituant à l'intérêt de la Nation, de donner un commencement d'application au conceptions du Général DE GAULLE , formulées à BRAZZAVILLE en janvier 1944, sur l'émancipation des peuples colonisés ou placés sous protectorat, appartenant à l'Empire Français , une guerre difficile et cruelle débutera le 19 décembre 1946 en INDOCHINE, suivie d'une autre, le Ier novembre 1954, en ALGERIE. Dans la première de ces deux guerres, seule l'Armée de métier sera engagée. Elle sera initialement composée, pour sa partie métropolitaine, de plus de 80 % d'ancien maquisards, qui forts de l'expérience souvent douloureuse acquise dans les combats de la Résistance, auront à coeur, dans la limite de leurs moyens , de se pencher sur la détresse des enfants, des femmes et des vieillards, innocentes victimes du conflit, et qui, tout en se battant bien, sauront manifester considération et, le cas échéant, compassion, à l'égard des combattants du camp adverse, victimes de l ‘infortune du sort.

Mais, se rappelant le sinistre rôle des BOUSQUET, TOUVIER, et autres DARNAND, ils n'admettront jamais que l'idéologie puisse conduire un de leurs compatriotes, ancien séminariste, à jouer le rôle cruel de kapo et de tortionnaire des soldats malheureux de son propre pays. Toutes les idées, toutes les convictions méritent le respect, dès lors qu’elles émanent d’hommes et de femmes d'une stricte honnêteté intellectuelle et qu'elles ne portent jamais atteinte aux libertés fondamentales et à l'intégralité de la personne humaine.

Torturés, placés dans des conditions d'asservissement abominables, des hommes vont mourir en INDOCHINE sur cette terre pourtant si belle et si attachante, où aura disparu aussi le lieutenant Louis DORE, le prestigieux commandant JACQUES des Francs-Tireurs et Partisans, à qui je tiens à rendre un solennel et respectueux hommage, en y associant son épouse ODETTE, héroïne de la Résistance et ceux que j'admirais et dont l'amitié m'honorait, Alphonse LE CUNFF, 1e Capitaine BERNARD de la 4ème Compagnie, qui l'ont rejoint dans l'éternité.

Il y a cinquante ans et pour nous c’était hier !

Des hommes sont morts ici dans l'éblouissante gloire de leur prime jeunesse, pour que la FRANCE puisse, encore, connaître des lendemains qui chantent. Une stèle dans ce village, plus loin, un monument dans la pierre duquel sont gravés des noms, rappellent leur sacrifice.

A jamais inconsolés, des femmes et des hommes les pleureront jusqu'à leur dernier souffle. Il est des plaies terribles que le temps même ne peut cicatriser.

Nous, leurs frères d'armes, nous qui partagions leurs joies et leurs angoisses, leur soif d'absolu et leur espérance, nous gardons à jamais au fond de nos mémoires et de nos cœurs, l'inaltérable image de leurs juvéniles visages, et, en nous, ils survivent.

"Leur souvenir, avec le temps, s'est creusé plus profond, comme un acide qui mord" écrivait Roland DORGELES dans l'épilogue de son inoubliable ouvrage "LES CROIX DE BOIS" au lendemain de la Grande Guerre. Jamais ces mots n'ont revêtu une telle actualité.

Quelques vers me reviennent en mémoire, d'un poète inconnu :

"O, vous qui passerez, en ces lieux si tranquilles,

Sans doute excédés du tumulte des villes,

Méditez un instant devant cette pierre sublime, Symbolisant des hommes, le sacrifice ultime.

Recueillez-vous, priez, si la Foi vous inspire,

Pour tous ceux qui sont morts, par refus de subir."

Oui, souvenez-vous que les jeunes de KERVERNEN, comme beaucoup d'autres ailleurs, n'ont jamais accepté les souillures de l'histoire.

Si le mot LIBERTE, au fronton des mairies, n'a pas connu le fer d'un burin destructeur, c'est parce qu'ils sont morts en luttant de toute leur âme contre une abominable, cinique, odieuse et pernicieuse idéologie, destinée à l'asservissement, à l'avilissement et à la destruction de la personne humaine. C'est à eux, ne l'oublions pas, que nous devons aujourd'hui cet espace quasi-illimité de liberté qui nous permet, selon le poète :

de vivre au pays, et d'aller et venir,

de croire ou de nier,

de penser et de dire,

d'aimer, mépriser, et pourquoi pas haïr ?

d'adhérer, rejeter, de pleurer ou de rire,

d'encenser , critiquer, voire même de maudire,

d'approuver, contester et aussi applaudir,

Dans le monde en folie d'aujourd'hui, nos Morts nous interpellent du fond de leurs tombeaux et nous crient "vigilance".

Ecoutez leur appel.

A chaque instant qui passe, même s’il est difficile, la LIBERTE est un don bien fragile, dont on ne rend compte de l’inestimable valeur, qu’après l’avoir perdue.

Le Colonel Georges LE GUYADER

MARCEL LE GUYADER