Hommage. L’honneur d’un « judéo-bolchevique » polonais
Joseph Epstein, bon pour la légende est réédité au moment où son auteur, l’artiste Pascal Convert, est reconnu pour son œuvre sur la mémoire et l’oubli.
Le sculpteur Pascal Convert vient de se voir décerner le grade de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Rien d’extraordinaire, sauf que… l’artiste travaille depuis des années sur les thèmes de la mémoire et de l’oubli. Sa dernière œuvre porte sur l’Afghanistan. Mais sa marque fondatrice remonte à plus longtemps. En 2003, il crée le Monument aux fusillés du Mont-Valérien. C’est son projet qui a été retenu dans un concours ouvert après le vote, par le Sénat, d’une proposition de Robert Badinter. L’ancien garde des Sceaux, se rendant à la cérémonie de la cascade du bois de Boulogne, avait découvert, stupéfait, qu’aucun nom n’apparaissait sur le site proche de Suresnes où ont été exécutés plus de 1 000 fusillés résistants et otages.
À partir de là, va s’enchaîner une série de petits miracles personnels et collectifs pour l’histoire de l’art et l’art de l’histoire. Le monument n’est pas en marbre. Il ne s’impose pas par sa solennité. C’est une cloche où sont gravés sur le bronze 1 008 noms, un nombre arrêté avec le concours des familles et des associations comme il ne l’avait jamais été jusque-là. Leurs noms forment ainsi, sans hiérarchie, une ronde des fusillés.
Un monde de la conscience et du courage
Convert ne travaille pas que la forme… le fond l’intéresse aussi. Au fait, se demande-t-il, qui étaient ces fusillés auxquels on va rendre la lumière ? Le sculpteur se fait enquêteur : leur vie ? Leur combat ? Les 1 000 sont tout un monde, mais pas n’importe quel monde. Ils sont un monde de la conscience et du courage, des militants ouvriers communistes, des chrétiens à la fleur de l’âge, un aristocrate patriote, le commandant Honoré d’Estiennes d’Orves. Ce fond, à son tour, prend la forme d’un film : Aux noms des fusillés.
Et les étrangers, et les juifs, demande le sculpteur-enquêteur à Badinter. Qui répond en deux mots : « Voyez Epstein. » Convert ne se le fait pas dire deux fois. Qui est cet Epstein ? Le chef des FTP de l’Île-de-France qui précédera Henri Rol-Tanguy, mais dont les Allemands ne connaîtront que le nom d’emprunt, Estain. Au départ, un jeune juif se destinant à la carrière d’avocat mais qui, frappé par le numerus clausus du régime du maréchal Pilsudski, se retrouve en France où il rejoint le Parti communiste français. Puis, en Espagne, mitrailleur dans les Brigades internationales du côté des républicains. Épopée d’un homme, avec d’autres, dans un livre au titre évocateur Joseph Epstein, bon pour la légende…
Des histoires compliquées,
à la limite du roman
Une deuxième séquence s’ouvre avec Georges Duffau. C’est le nom donné à l’enfant d’Epstein qu’adopte le premier mari de Paula Epstein. Les histoires « privées » de la Résistance, histoires de la clandestinité, sont des histoires compliquées, à la limite du roman. Georges Duffau forme, depuis, avec Pascal Convert, un couple d’inlassables chercheurs. Sur sa lancée, l’artiste écrit un grand livre sur Raymond Aubrac, filme, sculpte, expose. Celui qui a gagné le droit, avec ses enfants, de s’appeler « Duffau-Epstein » s’immerge dans l’histoire du Mont-Valérien, y accueille des classes, organise des rencontres.
Epstein a fini comme il a vécu. Pris, le 16 novembre 1943, à sa descente du train à la gare d’Évry-Petit-Bourg. Jamais, il ne donnera un nom. Toujours inconnu des brigades spéciales de Vichy. Il avait rendez-vous avec Missak Manouchian. Le temps n’est pas encore venu pour les autorités françaises d’accepter, comme cela leur a été demandé, de faire entrer ces purs héros au Panthéon. Étrangers, juifs, communistes, l’ombre de l’Affiche rouge plane encore. L’ironie de l’histoire veut qu’en reconnaissant le formidable travail artistique de Pascal Convert contre l’oubli, c’est l’honneur de Joseph Epstein, l’un de ces « judéo-bolcheviques », comme les appelaient les nazis, qui ressort.