Cérémonie de BUBRY


Au péril de leur vie, elles sont entrées en Résistance pour libérer leur patrie et rétablir la République :

Le 26 juillet 1944 à Keryacunff en Bubry étaient massacrés Désiré LE DOUAIRON alias Alphonse, Georges BORGNE alias Serge, membres du Comité Militaire Régional des F.T.P et les quatre agentes de liaison , Marie- Anne GOURLAY alias Dédée ( originaire de Plouay), Joséphine KERVINIO alias Martine ( originaire de Guern), Anne- Marie MATHEL alias Jeanne ( née le 06.01.1927 à Hennebont), recrutée par Dédée, Anne-Marie ROBIC alias Nénette ( née en 1923 à Ploemeur). Tous ces résistants appartenaient aux FTP


Dans la région de BUBRY c’est vers la fin de l’année 1942, que trois militants communistes, Emile Le Carrer alias Max, Marcel Le Du alias Mario et René Jehanno alias Jean, réunissaient des jeunes gens qui allaient constituer le premier groupe d'action des F.T.P. le groupe Vaillant-Couturier, puis ils organisaient peu après un second groupe de jeunes patriotes, le groupe Corentin Cariou, groupe qui allait s’installer dans une ferme abandonnée, à Saint-Yves en Bubry, derrière le château. Une jeune fille, Melle Nicolas, se chargeait alors des liaisons. Le développement du mouvement conduisait au cours de l’année 1943, à la formation à Bubry à partir de ces deux premiers groupes du détachement Surcouf

Une première tragédie allait frapper les résistants de la région de BUBRY :

Au cours d'une opération pour récupérer argent et cartes de ravitaillement dans une mairie, un gendarme tirait sur Emile Le Carrer. En représailles, le groupe Vaillant-Couturier attaquait la gendarmerie de Guéméné le 30 novembre 1943, vers vingt heures. Les F.T.P., sous la menace de leur unique mitraillette, se faisaient remettre les pistolets de la brigade . Mais la fille de l’un des gendarmes alertait les voisins et un gradé de l'Organisation Todt était tué en voulant intervenir.

Le 10 décembre suivant, informé que des jeunes gens du groupe Vaillant-Couturier se cachaient dans une bâtisse abandonnée, au milieu de la lande de Malguénac, un chef de la brigade de gendarmerie de Pontivy faisait procéder à l’ arrestation d’ André LE MOUËL devenu chef du groupe, André COJAN, Raymond GUILLEMOT, André LE GARREC Joseph LE MOUEL, Jean MAHÉ, Ferdinand MALARDÉ, et Jean ROBIC, tous originaires de la région de Bubry et les livrait aux Allemands dès le lendemain. A l’occasion d’une perquisition dans le bourg de Bubry pour trouver Emile Le Carrer et René Jehanno, André Le Mouël parvenait à s’échapper. Tous les autres maquisards, à l'exception d'André Le Garrec et d'André Cojan dont la peine était commuée, étaient condamnés à mort le 17 février 1944 pour sabotages de voies ferrées (le groupe avait sept déraillements à son actif), et fusillés le 25 février 1944, au polygone de Vannes

Les partisans continuaient néanmoins leur combat. Après le débarquement , les nouveaux responsables des FTP du département Désiré Le Douairon, Frédéric Le Bolay alias Armand, Georges Borgne, et Georges Marca alias Marcel, ainsi que les « agentes » de liaison continuaient à se réunir au Moulin Neuf en Le Croisty, à la ferme de Brignolec en Saint-Tugdual, puis à Keryagunff. De ces divers lieux de réunion, repartaient les agentes de liaison pour diffuser les consignes, souvent dactylographiées par la secrétaire de mairie du Croisty, à savoir : couper les lignes téléphoniques, abattre des arbres en travers des routes que l'ennemi pouvait emprunter pour se diriger vers la Normandie, casser ou retourner les panneaux indicateurs.

Une nouvelle tragédie allait frapper ces résistants :

Dans la nuit du 25 au 26 juillet 1944, une rencontre était organisée à Keryagunff, entre les membres de la direction du C.M.R. : Alphonse , Armand et Serge , leur adjoint Marcel, et Emile Le Carrer alias Max devenu Interrégionnal, ainsi que les quatre « agentes » de liaison Marie-Anne Gourlay alias Dédée, Anne-Marie Mathel alias Jeanne, Anne-Marie Robic alias Nénette, Marie-Joséphine Kervinio alias, Martine, chargées de diffuser ensuite les décisions.

Victimes manifestement d’une dénonciation, la gestapo traquant particulièrement les chefs de la Résistance depuis le débarquement, le groupe était encerclé, vers 5 heures du matin. Cernés par les Allemands, hommes et femmes se défendent et cherchent à se dégager par petits groupes. Seuls Max et Marcel y parviennent. Ils seront cependant arrêtés quelques heures plus tard à Guern, conduits à Locminé où ils seront torturés puis libérés au départ des allemands. Le Bolay dit quelques mots en allemand à une sentinelle et obtient sans doute ainsi d'être épargné. Toutefois, il est emprisonné à Pontivy et ne sera libéré qu’au départ des allemands.En revanche, Serge, Alphonse, Dédée, Martine , Jeanne et Nénette sont arrêtés et exécutés sur place, plaqués au sol, les bras en croix, mitraillés à bout portant. Selon “Ami Entends-tu N° 5 page 10 (1), Jeanne avant d’être capturée, aurait abattu un allemand avec son revolver, quant à Dédée, elle aurait réussi à mettre plusieurs adversaires hors de combat avant d’être assassinée à coups de poignard.

Dirons- nous de ces jeunes filles qu’elles étaient Femmes dans la Résistance ou Femmes de la Résistance ?

Souvent, en effet, les femmes sont présentées comme des auxiliaires, précieuses, certes, notamment dans leur rôle d’ “ agentes de liaison”, mais rarement comme des organisatrices et encore moins comme des combattantes de la première heure et en première ligne.Puisqu’il s’agit aussi, lors de cette cérémonie en hommage au sacrifice de ces résistantes, de rendre hommage à toutes celles qui ont combattu pour l’égalité de droits et de devoir dans la reconquête de la liberté et la reconstruction de la République, je voudrais évoquer la bretonne Jeanne BOHEC, alias Râteau, membre des Forces françaises Libres, qui, dès le 18 juin 1940 refusa de capituler devant l’ennemi ou plutôt je voudrais lui donner quelques instants la parole à partir du récit qu’elle fit elle- même de ses combats, lors d’un colloque qui s’était tenu les 22 et 23 Novembre 1975, à la Sorbonne, à l'initiative de l'Union des Femmes Françaises, colloque dont le thème était le suivant : Les femmes dans la Résistance.

En avril 1940 j'étais étudiante. Voulant participer à l'effort de guerre, j'entrai comme chimiste à la Poudrerie du Moulin Blanc à Brest. C'est là que le 18 juin 1940, j'appris l'arrivée des Allemands.... je refusai d'envisager la défaite, d'accepter l'armistice. Je craignais également d'être obligée de travailler pour les Allemands si je restais sur place. Je n'hésitai donc pas et malgré l'incompréhension de mon entourage, ....je décidai immédiatement de partir par remorqueur pour l'Angleterre..... La situation géographique de Brest me rendit la chose aisée et c'est ainsi que je rejoignis le général de Gaulle avant même d'avoir entendu parler de lui. En somme je n'ai pas eu de réactions différentes de celles d'un homme à ma place”.

Jeanne Bohec
n’était - elle alors qu’”un garçon manqué” ?En tout cas, elle devra vaincre bien des réticences avant d’obtenir du Bureau Central de Renseignements et d’Action à Londres (B.C.R.A) d’être parachutée sur la France le 29 février 44 avec pour mission, sous le pseudonyme Râteau, d’être d'instructeur de sabotage en Bretagne.

Voici les leçons qu’elle tire de son expérience des combats pour la libération de la France :

L'armée régulière a toujours eu, par essence — dirai-je — la plus grande méfiance envers les capacités du sexe féminin à jouer un rôle dans la guerre. Chez les Volontaires Françaises, seuls des postes subalternes et non-combattants nous étaient bien entendu réservés. J'eus le plus grand mal à me faire accepter par le B.C.R.A. pour partir en mission. On me répondait "Les Français n'envoient pas de femmes". Mais une fois arrivée en France, ma qualité de femme ne causa aucun problème à mes camarades. La première surprise passée, je fus adoptée par eux sans référence à mon sexe. ....Aucun parmi mes camarades à qui j'enseignais le maniement des explosifs ou des armes ne prit un air condescendant à mon égard.”

Néanmoins, même dans la Résistance, malgré la fraternité du combat, il n’y a pas eu d’ égalité des responsabilités, quand bien même l’égalité existait, elle, dans la prise des risques, et le cas échéant les tortures subies, souvenez-vous d’Armande Morizur. Mais, y-avait-t-il une femme au Conseil National de la Résistance ? Et lors de la libération du sol national, les résistantes ne furent -elles pas écartées des unités combattantes des FFI, malgré les protestations de certaines d'entre elles, et parmi d’autres, de Jeanne Bohec.

Les F.F.I. étaient armés grâce aux parachutages que j'avais dirigés. Ils devaient donc leur armement à mon intermédiaire. Mais une équipe Jedburgh composée d'un capitaine français, d'un Anglais et d'un Américain avait été parachutée pour coiffer les chefs du maquis et diriger les opérations . Malgré ma demande pressante, là non plus je ne pus obtenir le moindre Colt ou Sten. "Ce n'est pas la place d'une femme !" me dit d'un air suffisant le capitaine français. Et c'est ainsi que je fus frustrée de la satisfaction de prendre part aux derniers combats. “

Sans doute, cela a-t-il épargné à nombre d’entre elles, la mort brutale et cruelle infligée à Marie-Anne Gourlay, Anne-Marie Mathel, Anne-Marie Robic, et Marie-Joséphine Kervinio. Mais très souvent, c’était pour connaître une longue agonie dans les camps de la mort .

Pour conclure, permettez-moi d’évoquer quelques unes de celles qui n’ont plus que leur nom pour tombe, ces femmes déportées sous le statut Nuit et brouillard, mortes après d’horribles angoisses et souffrances. Et quand vous chanterez ou entendrez notre hymne national, vous aurez une pensée pour :

-Marguerite CHABAUTY, née en mai 1874 à Pontivy déportée Le 8 janvier 1943 morte à Ravensbrück le 06.03.1945: elle avait 71 ans.
-Pour les femmes suivantes déportées parmi 230 femmes, le 24 janvier 1943à Auschwitz, dont 181 vont mourir ou disparaître dans les camps nazis, pour la plupart des résistantes, membres ou proches du parti communiste français:

Marguerite CHAVAROC, née le 03.10.1894 à Hennebont, décédée le 04.05.1943: elle avait 49 ans,
Yvonne COURTILLAT
, née le 30.05.1911 à Languidic, décédée le 20.04.1943: elle avait 32 ans,
Elisabeth LE PORT, née le 9.04.1919 à Lorient, décédée le 14.03.1943. Elle avait 24 ans.
Louise LOQUET, née le 30.04.1900 à Plouray, décédée le 10.04.1943. Elle avait 43 ans.
Marie-Louise MORU, née le 25.07.1925 à Port-Louis, décédée le 01.04.1943.Elle avait 18 ans.

Vous n’oublierez pas que celles qui sont entrées à Auschwitz, le 27 janvier 1943, ont chanté la Marseillaise, ainsi que l’a décrit Marie Claude Vaillant-Couturier déportée dans ce convoi, lorsqu’elle a été entendue comme témoin, en janvier 1946, lors du procès de Nuremberg contre 24 des principaux responsables du Troisième Reich, accusés de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, dont Keitel chef du haut commandement de la Werhmacht.

« Nous sommes arrivées à Auschwitz au petit jour. On a déplombé nos wagons et on nous a fait sortir à coups de crosses pour nous conduire au camp de Birkenau, qui est une dépendance du camp d'Auschwitz ; ça se trouve dans une immense- plaine qui, au mois de janvier, était glacée. Nous avons fait le trajet en tirant nos bagages. Nous sentions tellement qu'il y avait peu de chance d'en ressortir — car nous avions déjà rencontré les colonnes squelettiques qui se dirigeaient au travail — qu'en passant le porche, nous avons chanté « la Marseillaise » pour nous donner du courage.»

Vous n’oublierez pas que celles qui ont été condamnées à être conduites à la chambre à gaz en châtiment pour avoir eu notamment un geste d’humanité, ont chanté aussi la Marseillaise :

« Un jour, déclarait également M.C Vaillant Couturier à Nuremberg, une de mes compagnes, Annette EPAUX, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc 25 où se trouvaient les condamnées à mort , eut pitié de ces femmes qui criaient du matin au soir, dans toutes les langues : « A boire, à boire, à boire, de l'eau ». Elle est rentrée dans notre bloc chercher un peu de tisane, mais au moment où elle passait le bol par le grillage de la fenêtre, la surveillante l'a vue, l'a prise par le collet et l'a jetée au bloc 25.Toute ma vie, je me souviendrai d'Annette Epaux. Deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeait à la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line PORCHERet au moment où le camion s'est ébranlé, elle nous a crié : « Pensez à mon petit garçon si vous rentrez en France. » Puis, elles se sont mises à chanter « la Marseillaise », pendant que le camion s'ébranlait.»

Et tant d’autres femmes encore, desquelles nous pourrions dire comme Gisèle Guillemot déportée à 16 ans, évoquant l’une de ses camarades mortes à Ravensbrück :

Elle disait
Si je reviens
J'écrirai des romans

Elle disait
Si je reviens
J'apprendrai le violon


Elle disait
Si je reviens
J'aurai beaucoup d'enfants.


Il n'y aura
Ni violon
Ni romans
Ni enfants.


Femmes dans la résistance, Femmes dans la société : pour surmonter les discriminations de toutes sortes qui s’opposent encore à une véritable égalité des chances entre hommes et femmes, beaucoup reste à faire .

En nous élevant contre tous les intégrismes, en particulier religieux, contre les violences et les discriminations dont les femmes sont encore trop souvent l'objet, nous poursuivons aussi le combat pour la liberté, l’égalité, et la dignité des Femmes de la Résistance .

Pour conclure, nous dirons avec Gisèle Guillemot en nous adressant comme elle à nos soeurs en démocratie : « Nous aurons conquis l'égalité quand il ne sera plus nécessaire de rendre un hommage particulier aux femmes.»


Katherine LE PORT

Présidente Départementale de l’ANACR