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La Répression dans le département du Morbihan

après le débarquement du 6 juin 1944

 

L’ampleur et la violence de la répression allemande qui s’est abattue sur le Morbihan après le débarquement en Normandie du 6 juin 1944 interpellent. Dans ce département à dominante rurale et agricole, où la population, profondément attachée à la religion catholique, s’était très majoritairement ralliée au régime de Vichy et à la Révolution nationale, la Résistance s’était implantée lentement.

Cependant, l’étendue des forêts, le paysage de bocage et de haies en mailles serrées, l’habitat dispersé en innombrables bourgs, villages, lieux-dits et fermes isolées ont favorisé la formation de maquis où ont afflué à partir de 1943 des jeunes urbains réfractaires au STO, pressés de passer à l’action armée. Face à cette menace, les forces de répression allemandes se sont déployées sur tout le territoire du département avec l’aide efficace d’auxiliaires bretons.

L’application des plans alliés en Bretagne à partir du 6 juin 1944, particulièrement dans le Morbihan où plusieurs centaines de combattants de la France libre ont été parachutées, a amené les forces d’occupation allemandes à riposter avec la plus grande rigueur.

Le camp de Saint-Marcel

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 qui a précédé le débarquement, des parachutistes appartenant au 2e Régiment de chasseurs parachutistes (RCP) ou 4e SAS (Special Air service) des Forces françaises libres (FFL), ont été largués en Bretagne, dans le secteur de Duault dans les Côtes-du-Nord et dans le secteur de Plumelec dans le Morbihan.

Leur mission était d’établir la base Samwest dans les Côtes du Nord et la base Dingson dans le Morbihan, deux bases destinées à réceptionner plusieurs centaines de parachutistes du 4e SAS avec leurs équipements, armements et munitions. La base Dingson devait aussi constituer la base arrière d’un possible débarquement sur les plages de la presqu’île de Rhuys, entre Arzon situé à l’entrée du golfe du Morbihan et l’estuaire de la Vilaine, mais ce projet a été finalement abandonné.

L’opération mise au point par le commandement interallié avait pour objectif de fixer les unités de la Wehrmacht stationnées en Bretagne, dont l’effectif était estimé à 150 000 hommes, afin d’empêcher ou au moins de retarder l’arrivée des renforts allemands sur le front de Normandie.

Le commandement allié ne comptait guère au départ s’appuyer sur les résistants bretons, disséminés dans les maquis tenus par les Forces françaises de l’intérieur (FFI) et par les Francs-tireurs et partisans français (FTPF), considérés alors comme pouvant tout juste constituer une force d’appoint. Mais les parachutistes SAS ont rapidement constaté qu’ils devaient, pour accomplir leur mission avec succès, s’appuyer sur la résistance bretonne.

La carte dressée par Christian Bougeard[1], qui indique la densité et la position des maquis bretons FFI et FTPF à la date du 16 juin 1944, atteste bien du potentiel de la Résistance bretonne au lendemain du débarquement de Normandie. La forte présence de maquis FTPF dans les Côtes-du-Nord qui suscitaient une certaine défiance chez les Alliés, et la dispersion dès le 11 juin de la base Samwest attaquée par les Allemands, expliquent sans doute le fait que l’engagement des SAS s’est concentré dans le Morbihan. Dès le 8 juin 1944, le capitaine SAS Pierre Marienne qui commandait les premiers SAS parvenus à Saint-Marcel pour y établir la base Dingson, a adressé un message enthousiaste au commandant Pierre Bourgoin encore en Angleterre, pour lui exposer le potentiel, sans doute surévalué, de la résistance et des maquis morbihannais.

Un peu plus de 2 500 FFI placés sous le commandement de Paul Chenailler, pseudo colonel Morice, chef de l’Armée secrète et chef départemental des FFI, y ont été rassemblés. Le camp de Saint-Marcel recevait chaque nuit des parachutages d’hommes, d’armes, de munitions, de Jeep équipées de mitrailleuses lourdes. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1944, considérant que cette concentration devenait très dangereuse, le commandement interallié donna, mais trop tard, l’ordre de dispersion.

Le dimanche 18 juin 1944 à l'aube, des véhicules de la Feldgendarmerie de Ploërmel franchirent le périmètre du camp et furent interceptées sur la route conduisant au bourg de Saint-Marcel où avait été installé un poste de sécurité composé de SAS et de FFI. Les occupants de ces véhicules ont été tués ou faits prisonniers, mais l’un d’entre eux est parvenu à prendre la fuite et à alerter la garnison allemande de Malestroit.

Le 18 juin 1944, le camp de Saint-Marcel a été attaqué en force par la Wehrmacht. SAS et FFI, après avoir résisté à cette attaque durant toute la journée, se sont repliés en bon ordre et se sont dispersés. Selon le bilan établi par le colonel Morice, 24 FFI ont été tués et 22 blessés au combat. Les pertes allemandes évaluées au lendemain de la 2e guerre mondiale à 560 tués selon les chiffres inscrits sur le mémorial de la Résistance bretonne, et en 1981 à « environ 300 tués » par Roger Leroux[2], correspondant du Comité d’histoire de la 2e guerre mondiale, ont été ramenées à 23 par Alain Floch[3], professeur d’allemand à la retraite qui a travaillé sur les sources militaires allemandes à la fin des années 1990.

Les instruments et les lieux de répression

Après la dispersion du camp de Saint-Marcel, la répression allemande a été terrible. Les unités de la Wehrmacht appuyée par de nombreux détachements de soldats russes, blancs, géorgiens et ukrainiens rassemblés dans les « unités de l’Est », les agents de l’Abwehr (service de renseignements de la Wehrmacht) et du SIPO-SD (Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst), services de sûreté (Gestapo) et de renseignements de la SS, ainsi que leurs auxiliaires français de la FAT 354 (Front Aufklärung Truppe-Unité de reconnaissance en première ligne), se lancèrent avec l’aide des miliciens du Bezen Perrot et du Parti national breton, dans une traque implacable des parachutistes SAS, des FFI-FTPF, de leurs dépôts d’armes, et de tous ceux qui les hébergeaient et les ravitaillaient.

Rafles, arrestations, interrogatoires, tortures, et exécutions sans jugement de SAS et de résistants, incendies de fermes, pillages et massacres de civils se multiplièrent dans tout le Morbihan et en premier lieu à Saint-Marcel dont les fermes, le château et les maisons du bourg furent pillés et incendiés.

Plusieurs établissements scolaires publics et privés ont été réquisitionnés par le SD et sont devenus des lieux de détention, des centres d’interrogatoires et de tortures, où ont siégé des tribunaux spéciaux ou des cours martiales qui ont prononcé des condamnations à mort expéditives.

Dès le printemps 1944, une antenne du SD et une unité de l'armée Vlassov – détachement militaire formé de volontaires russes blancs armés par la Wehrmacht – se sont installées dans l’école des filles de Locminé. Cette antenne était commandée par le lieutenant Goy qui parlait parfaitement le français et qui était assisté de miliciens bretons appartenant au Bezen Perrot. Les caves de l’école, qui avaient été aménagées en 1943 en chambres froides bétonnées, ont été transformées en cellules d’incarcération et en lieux d’interrogatoire. Plus de mille patriotes raflés, traqués, arrêtés y ont été incarcérés et torturés. Cette école porte aujourd’hui le nom d’Annick Pizigot, une jeune résistante de Locminé déportée NN (Nacht-und-Nebel, Nuit-et-Brouillard) à Ravensbrück en août 1944.

Le 20 juin 1944, les Allemands ont installé une cour martiale dans les locaux de l’école Sainte-Barbe du Faouët, où ont été aménagés dans les caves une prison et un centre d’interrogatoire. De nombreux résistants arrêtés dans le Nord-Ouest du Morbihan y ont été torturés. Du 21 juin au 2 août 1944, plus de soixante d’entre eux ont été condamnés à mort après un simulacre de procès, puis exécutés sur le territoire des communes environnantes, et leurs corps jetés dans des fosses communes.

D’autres écoles ont été réquisitionnées elles aussi : l’école Sainte-Anne de Guémené-sur-Scorff ou encore l’école supérieure de jeunes filles de Pontivy, où était installée une antenne de la FAT 354.

À Josselin, les agents du SD ont réquisitionné la clinique Saint-Martin située 44 rue Saint-Jacques, où ils interrogeaient et torturaient.

Ne parvenant pas à neutraliser les maquis morbihannais qui, désormais mieux équipés et mieux armés, intensifiaient les actions de sabotage sur les axes de communication et de harcèlement des convois allemands, les autorités d’occupation ont amplifié les mesures de répression.

Dès le 27 avril 1944, le général Fahrmbacher qui commandait le XXVe Corps d’Armée en Bretagne, avait donné l’ordre d’« installer des centres de rassemblement » dans la citadelle de Port-Louis et au Fort Penthièvre en Saint-Pierre-Quiberon, « où [devaient] être logés les terroristes arrêtés au cours des interventions de la troupe, en accord avec le SD, jusqu’à leur jugement ou leur évacuation ». La garde de ces lieux de détention, où siégèrent des tribunaux militaires allemands spéciaux, fut confiée à un régiment de forteresse.

De mai 1944 à mai 1945, de nombreux résistants détenus dans des prisons du Morbihan et de Quimperlé dans le Finistère, ont été transférés dans la citadelle de Port-Louis et dans le Fort Penthièvre qui avaient servi jusqu’alors de prisons allemandes où étaient détenus les soldats de la Wehrmacht frappés de sanctions disciplinaires. Les résistants qui y ont été incarcérés furent interrogés et torturés avant d’être fusillés après condamnation à mort, ou exécutés sans jugement ou encore déportés dans les camps de concentration nazis.

Le Morbihan dans le Maitron des fusillés-exécutés-massacrés

Dans le Dictionnaire Maitron des fusillés-exécutés[4], un peu plus de 900 notices biographiques ont été mises en ligne concernant les fusillés, exécutés, abattus, massacrés, morts en action dans le Morbihan, mais aussi les Morbihannais fusillés, exécutés, abattus, morts en action hors de leur département, le plus souvent dans les départements limitrophes du Finistère, des Côtes-du-Nord, d’Ille et-Vilaine et de Loire-Inférieure.

Le bilan établi à partir des indexations réalisées en décembre 2019 pour ce colloque reporté par deux fois, est riche en informations :

- 116 fusillés après condamnation à mort ;

- 264 résistants exécutés sommairement ou abattus ;

- 229 résistants morts en action ou en mission ;

- 128 civils massacrés ;

- 45 résistants morts en prison, à l’hôpital ou des suites de leurs blessures.

Les autres notices concernent de nombreuses autres catégories (résistants disparus, suicidés, morts sous la torture, morts accidentellement, inconnus) ou des notices qui doivent être revues pour classement ou qui n’ont pas encore été indexées avec certitude.

Nous avons recensé :

- 7 Compagnons de la Libération dont Mathurin Henrio qui n’avait pas 14 ans, abattu le 10 février 1944 à Poulmein en Baud ;

- 142 Combattants volontaires de la Résistance dont une seule femme (Germaine Kerblat, tuée accidentellement) ;

- 148 Médaillés de la Résistance dont 6 femmes : Armande Morizur, décédée sous la torture le 28 juin 1944 à Saint-Jean-Brévelay, Liliane Tanguy, tuée accidentellement le 12 juillet à Quistinic, Fernande Uzel abattue le 24 juillet 1944 à Quistinic, Marie Gourlay, Anne-Marie Mathel, Anne-Marie Robic, exécutées sommairement le 26 juillet 1944 à Bubry.

La plupart des décès liés à la répression allemande (80 %) sont concentrés durant la période très courte qui va du débarquement allié du 6 juin 1944 jusqu’à la libération de la plus grande partie du département au début du mois d’août 1944, ce que démontre la courbe de fréquence cumulée, exprimée en pourcentage du total des morts.

Cette courbe ne s’arrête pas avec la libération au début du mois d’août du département par les alliés américains et les FFI. Elle se prolonge jusqu’au début du mois de mai 1945, c’est-à-dire jusqu’à la reddition de l’Allemagne nazie. Dans le Morbihan, après la libération de la plus grande partie du département au début du mois d’août 1944, la répression allemande s’est poursuivie à l’intérieur et sur le front de la Poche de Lorient au Sud-Ouest du département, et sur le front de la Vilaine au Sud-Est, à la limite Nord de la Poche de Saint-Nazaire.

L’évolution quotidienne du nombre des fusillés, exécutés, massacrés, morts en action vient confirmer l’importance de la date du débarquement du 6 juin 1944, qui marque bien le début de l’amplification de la répression allemande, avec des pics qui correspondent à des actes de répression massive fin juin, mi-juillet et début août 1944.

On retrouve cette amplification de la répression allemande à partir du 6 juin 1944 sur la courbe de l’évolution cumulée du nombre des morts dans les trois principales catégories du Corpus : les fusillés après condamnation, les exécutés sommaires et les civils massacrés. Les trois courbes décollent toutes les trois en même temps en juin 1944.

À partir de la fin du mois de juin 1944, il n’y a presque plus d’exécutions après condamnation à mort par le tribunal militaire allemand FK 750 siégeant à Vannes ou les tribunaux spéciaux installés à Port-Louis, Fort Penthièvre, Le Faouët.

Dans le même temps on observe une flambée des exécutions sommaires qui se poursuit en juillet et août 1944.

Les massacres de civils culminent au début du mois d’août 1944, ce qui correspond aux journées libératrices. Face à l’avance des Alliés et des FFI, les unités allemandes qui se sont repliées dans les poches de Lorient et de Saint-Nazaire, ont commis de multiples exactions : grenadages d’abris antiaériens, incendies de fermes, massacres.

À partir de la mi-août les exécutions sommaires se poursuivent sur les fronts de la Poche de Lorient et de la Vilaine, jusqu’à la reddition de la Wehrmacht en mai 1945.

Au total, les nombre des exécutés sommaires est cinq fois plus important que celui des fusillés après condamnation à mort et celui des civils massacrés.

La répartition par âge a été effectuée sur la base de 849 notices.

Bien que les massacres de civils n’aient épargné aucune classe d’âge, ce qui apparaît clairement c’est la jeunesse des victimes de la répression allemande et plus particulièrement la jeunesse des fusillés après condamnation et des exécutés sommaires. Au total, 68 % avaient moins de 27 ans, et environ 15% avaient moins de 20 ans. La classe d’âge la plus représentée est la classe des 22 ans (10 %).

Les lieux de répression et/ou de mémoire

La carte des lieux d’exécutions et de massacres nous montre que c’est l’ensemble du Morbihan qui a été soumis à la répression allemande. Ils parsèment toute la zone boisée qui traverse la partie centrale du département d’Est en Ouest, zone de bocage et d’habitat dispersé, où étaient implantés les principaux maquis.

Trois lieux d’exécution étaient situés sur le littoral : à Vannes/Saint-Avé, Saint-Pierre-Quiberon et Port-Louis.

À Vannes, où siégeait le tribunal militaire allemand FK 750, une trentaine de résistants ont été fusillés de 1941 à 1944, soit dans la prison, soit sur le polygone de tir situé sur le territoire de la commune voisine de Saint-Avé. Quatre d’entre eux seulement ont été exécutés en juillet 1944, sans avoir été condamnés. Après le débarquement du 6 juin 1944, les tribunaux spéciaux et les cours martiales installés à Saint-Pierre-Quiberon, Port-Louis, Locminé, Le Faouët, Guémené-sur-Scorff, Pontivy, Josselin, qui condamnaient à mort de façon expéditive, se sont substitués au tribunal militaire de Vannes.

Soixante-dix patriotes ont été fusillés ou exécutés dans le Fort Penthièvre en Saint-Pierre-Quiberon. Le 11 juillet 1944, devant l’avance des troupes américaines, le chef de la Gestapo de Vannes donna l’ordre d’exécuter cinquante-deux détenus de la prison surpeuplée située Place Nazareth. Cinquante détenus, parmi lesquels se trouvaient vingt-cinq jeunes résistants de Locminé, ont été transférés de la prison de Vannes jusqu'au Fort Penthièvre, où ils ont été exécutés le 13 juillet 1944. Ils ont été emmenés deux par deux devant les pelotons d’exécution de SS géorgiens.

Le 16 mai 1945, cinquante corps ont été exhumés d’un souterrain et identifiés. En 1957, dix autres corps ont été retrouvés, mais n’ont pu être identifiés.

Le 18 mai 1945, une dizaine de jours après la reddition de l’Allemagne nazie, sur les indications fournies par un soldat tchèque et un soldat polonais incorporés de force dans des unités disciplinaires de la Wehrmacht, un charnier a été découvert sous les décombres du stand de tir installé par les Allemands à l’entrée de la citadelle de Port-Louis. Ils l’avaient délibérément dynamité pour faire croire à une destruction causée par une bombe lancée par l’aviation alliée. Au cours des jours qui ont suivi, soixante-neuf corps ont été exhumés par des prisonniers de guerre allemands.

Selon les archives allemandes qui ont été déposées en 1971 à Arolsen, vingt-trois résistants y ont été fusillés après avoir été condamnés à mort par le tribunal militaire allemand de la 265e Division d’infanterie siégeant à Quimperlé dans le Finistère : douze les 11 et 12 juin 1944, un le 15 juin 1944, sept le 22 juin 1944 et trois le 30 juin 1944. Ces condamnés ont été transférés dans la citadelle de Port-Louis où ils ont été fusillés, à l’exception de trois d’entre eux qui ont été exécutés à Quimperlé.

Les archives concernant les exécutions antérieures à juin 1944 ont malheureusement été détruites, ce qui ne nous permet pas de déterminer combien, parmi les résistants exécutés dans la citadelle de Port-Louis, avaient été condamnés à mort par le tribunal spécial qui y a siégé.

Des recherches menées depuis quelques mois avec la mairie de Port-Louis et le Centre d’animation historique du Pays de Port-Louis, recherches auxquelles nous avons participé, ont permis d’identifier quatre fusillés qui n’avaient pas pu l’être en mai 1945 lors de la découverte du charnier. Une plaque portant leurs noms a été inaugurée à Port-Louis le 23 mai 2021.

Le territoire du Morbihan est jalonné de très nombreux lieux d’exécutions de résistants et de massacres de civils perpétrés en juin-juillet-août 1944, dont René Le Guénic a dressé l’inventaire[5]. Ils sont répertoriés dans cinquante-trois notices avec la mémoire de la pierre qui s’y rattache : mémoriaux, monuments aux morts, stèles et plaques commémoratives, nécropoles, sépultures, plaques de rue. On ne peut pas les citer tous. En voici quelques exemples.

Les 18 et 19 juin 1944 à Saint-Marcel 9 civils, dont une femme âgée de 83 ans, ont été exécutés. Les corps de six d’entre eux, déclarés disparus et présumés mort en déportation, n’ont été retrouvés qu’en 1965.

Le 21 juin 1944, onze FTPF arrêtés à Spézet dans le Finistère au cours d’une rafle, ont été conduits dans l’école Sainte-Barbe du Faouët dans le Morbihan, où ils ont été affreusement torturés, puis condamnés à mort de façon expéditive par une cour martiale. Le 24 juin, ils ont été amenés à Rozengat en Lanvénégen où ils ont été exécutés au bord d’une fosse.

En ce même 21 juin 1944, vingt-sept résistants, pour la plupart réfractaires du STO ont été arrêtés à Plouray, interrogés et torturés à l’école Sainte-Anne de Guémené-sur-Scorff, puis transférés dans l’école Sainte-Barbe du Faouët. Seize d’entre eux y ont été condamnés à mort par une cour martiale, puis ont été amenés le 24 juin à Rosquéo en Lanvénégen où ils ont été abattus au bord d’une fosse comme les exécutés de Rozengat.

Le 28 juin 1944, cinq FFI surpris alors qu’ils étaient au repos dans le village de Bieuzy-Lanvaux en Pluvigner, ont été exécutés au lieu-dit Chanticoq. Dans cette même commune, le 21 juillet, sept FFI hébergés dans une ferme au lieu-dit Le Véniel, ont été faits prisonniers, torturés et brûlés vifs dans une étable avec les deux fils du fermier.

Le 6 juillet 1944 à l’aube, seize résistants condamnés à mort par la cour martiale du Faouët, parmi lesquels se trouvaient de jeunes FTPF pris les armes à la main, ont été conduits en camion jusqu’au bois de Landordu, situé sur le territoire de la commune de Berné, où ils ont été fusillés et jetés dans une fosse recouverte de mottes de terre, d’ajoncs et de fougères. Lors de la découverte du charnier, quatre d’entre eux n’ont pu être identifiés.

Le 12 juillet 1944 à l’aube dans le village de Kérihuel en Plumelec, un groupe de parachutistes SAS et de FFI a été surpris dans son sommeil par un détachement de la FAT 354 ayant à sa tête le Français Maurice Zeller. Sept parachutistes et huit FFI, ainsi que les trois cultivateurs qui les avaient hébergés, ont été exécutés sur l’aire de battage de la ferme.

Le 14 juillet 1944 à Trédion, des soldats allemands et des agents français de la FAT 354 ont investi une ferme où s’étaient réfugiés des parachutistes blessés. Six parachutistes ont été abattus, tandis que le fermier était frappé à mort et son corps jeté dans le brasier de la ferme incendiée.

Le 18 juillet 1944, après avoir été́ torturés pendant plusieurs jours, quatorze résistants détenus dans l’école supérieure de jeunes filles de Pontivy, ont été embarqués dans un camion bâché et emmenés à Rimaison en Bieuzy-les-Eaux. Ils y ont été exécutés au bord d’un ruisseau et leurs cadavres ont été abandonnés sur place.

Les 18 et 22 juillet 1944, vingt-six résistants faits prisonniers le 14 juillet 1944 lors des combats de Kervernen ont été amenés à Botségalo en Colpo et exécutés d’une balle dans la nuque, des exécutions auxquelles ont participé des miliciens du Bezen-Perrot.

Le 24 juillet 1944 à l’aube, plusieurs unités de la Wehrmacht ont encerclé et attaqué en force la Chapelle du Cloître située sur le territoire de la commune de Quistinic, qui avait été transformée en infirmerie clandestine. Quatorze FFI blessés et sans armes qui tentaient de s’échapper, ont été poursuivis et abattus.

Le 26 juillet 1944, six FTP dont quatre femmes, agents de liaison, ont été faits prisonniers à Keryacunff en Bubry et exécutés sur le champ.

Le 29 juillet 1944, les Allemands ont sorti de leurs cellules de la prison de Pontivy six résistants et trois parachutistes SAS qui ont été exécutés au Rodu en Pluméliau.

Le 3 août 1944, avant de se retirer de la ville de Josselin, les Allemands ont abattu dans la cour de la clinique Saint-Martin, les sept prisonniers détenus dans cette clinique.

Les massacres de civils se sont multipliés au cours du mois d’août en particulier dans les secteurs où les unités de la Wehrmacht ont battu en retraite devant les troupes libératrices et se sont retirées dans les Poches de Lorient et de Saint-Nazaire.

À Sainte-Anne d’Auray, cinq civils ont été massacrés le 5 août 1944, dont deux ecclésiastiques qui avaient été retenus en otage.

Sur le front de la Poche de Lorient, une quarantaine de civils ont été abattus ou tués par des grenades lancées dans des abris anti-aériens à Hennebont. Leurs noms figurent sur une plaque commémorative apposée quai des martyrs. À Lanester, dix-sept civils ont été abattus ou exécutés sommairement.

Sur le front de la Vilaine, dix civils ont été abattus à Marzan.

Un certain nombre de résistants fusillés, exécutés, abattus dans le Morbihan ou dans les départements voisins, sont inhumés dans la nécropole nationale de Saint-Anne-d’Auray, FFI, FTPF, parachutistes SAS, antifascistes étrangers, en particulier neuf Républicains espagnols qui font partie des trente-deux résistants fusillés le 8 juin 1944 dans la caserne du Vieux-Colombier à Rennes, où ont été également fusillés cinq résistants morbihannais.

À Plumelec, le mémorial des SAS honore la mémoire de soixante-dix-sept parachutistes SAS de la France libre fusillés, exécutés, abattus, morts en action dans le Morbihan et pour quelques-uns d’entre eux dans d’autres départements.

En conclusion, ce bilan encore provisoire devra être vérifié, complété et précisé. Par exemple, l’analyse des catégories socio-professionnelles devrait faire apparaître parmi les victimes de la répression allemande l’importance du nombre des cultivateurs, dénomination qui recouvre aussi bien les petits propriétaires, les fermiers et les métayers, que les ouvriers agricoles ou les journaliers dans un département encore profondément rural et agricole. À la veille de la 2e guerre mondiale, la population du Morbihan – 542 000 habitants au recensement de 1936 – déclinait. La part de la population rurale y représentait encore environ 80 % de la population totale et augmentait, dans la mesure où les Morbihannais qui quittaient le département étaient majoritairement des urbains qui allaient chercher du travail hors de Bretagne. Le gonflement de la population rurale a été renforcé à partir de 1943 par l’afflux dans les campagnes morbihannaises de jeunes urbains réfractaires au Service du travail obligatoire.

Au colloque La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social qui s’était tenu à Rennes en 1994, François Marcot avait défini la Résistance comme « d’abord un fait urbain »[6]. À ce même colloque, Jacqueline Sainclivier était revenue sur « la sous-représentation des paysans » dans la Résistance, ce qu’elle avait mis en évidence en Ille-et-Vilaine en 1993[7], et cette analyse semblait pouvoir s’appliquer à l’ensemble des départements bretons.

Aujourd’hui, l’étude de la répression allemande dans le Morbihan à partir de juin 1944, nous amène à voir différemment le rôle joué dans la Résistance par les paysans et plus généralement par les ruraux de ce département. Les cultivateurs morbihannais ont hébergé, nourri, ravitaillé les maquisards et les parachutistes SAS. Ils ont participé avec leurs charrois au transport des armes et des munitions parachutées, qu’ils ont cachées dans leurs granges. Ils ont combattu dans les maquis. Ils ont été une des principales cibles de la répression allemande. Leurs fermes ont été pillées ; ils ont été exécutés avec les résistants et les parachutistes SAS qu’ils hébergeaient. Plusieurs d’entre eux ont été jetés dans le brasier de leurs fermes incendiées.

D’autres catégories mériteraient d’être étudiées : agents SNCF dans le secteur d’Auray en particulier, ouvriers dans le secteur de Lorient-Hennebont-Lanester-Inzinzac, catégories socio-professionnelles forte-ment syndiquées et engagés dans des partis de gauche, ou encore gendarmes et instituteurs dans les communes rurales.

Il faudra aussi confronter ce bilan aux bilans des autres départements bretons qui sans doute présentent des similitudes, avec cependant une spécificité pour l’Ille-et-Vilaine. Son chef-lieu, Rennes, était aussi une capitale régionale où ont été fusillés des résistants arrêtés dans l’ensemble des départements bretons.

C’est ainsi que neuf Morbihannais ont été fusillés sur le polygone de tir de La Maltière en Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes, où soixante-douze Bretons ont été exécutés dont près de la moitié en juin-juillet 1944.

Lorsque le travail sera achevé dans les autres départements bretons, il sera possible de dresser un bilan régional qui confirmera sans doute l’ampleur de la répression dans l’ensemble de la Bretagne au cours des semaines qui ont suivi le débarquement de Normandie.

Jean-Pierre et Jocelyne Husson

Colloque Répressions de début et de fin de guerre 1941-1944

Archives départementales du Calvados

Caen, 9 décembre 2021

 

[1] Christian Bougeard, Atlas d’histoire de Bretagne, Skol Breizh, 2002 ; La Bretagne de l’Occupation à la Libération 1940-1945, Presses universitaires de Rennes, 2014.

[2] Roger Leroux, " Les maquis dans la libération de la France-Le combat de Saint-Marcel ", Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, n  55, juillet 1954 ; Le Morbihan en guerre 1939-1945, Joseph Floch éditeur, 1978 ; Le maquis de Saint-Marcel, Ouest-France, 1981.

Marcel Baudot, Libération de la Bretagne, collection La libération de la France dirigée par Henri Michel, Hachette-Littérature, 1974.

[3] Alain Floch, L’occupation allemande dans les 261 communes du Morbihan 1940-1945, Presses de Cloître imprimeurs à Saint-Thonan, 2019.

[4] Les Fusillé 1940-1944, https://fusilles-40-44.maitron.fr/

[5] René Le Guénic, Morbihan, Mémorial de la Résistance, Imprimerie Basse Bretagne, Quéven, 2013.

[6] François Marcot, " Les paysans et la Résistance : problèmes d’une approche sociologique ", in Jacqueline Sainclivier et Christian Bougeard (dir), La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social, Presses universitaires de Rennes, 1995.

[7] Jacqueline Sainclivier, La Résistance en Ille-et-Villaine, Presses universitaires de Rennes, 1993.