Imprimer

 

 


Assassinat de l’abbé Rallier, 29 juillet 1944, Bieuzy-Lanvaux (56)

 

Le 29 juillet 1944, l’abbé Rallier, recteur de la paroisse de Bieuzy-Lanvaux, est assassiné dans son presbytère. Les conditions de sa mort ainsi que le nom des responsables sont longtemps restés un mystère. Au-delà du tragique destin de l’intéressé, l’épisode renvoie aux heures les plus sombres de la Libération dans une région du Morbihan où la violence attînt son paroxysme à l’approche des troupes américaines.
Mais comment expliquer l’assassinat d’un homme qui jouissait d’une large honorabilité tant auprès de ses paroissiens que des individus ne partageant pas forcément ses convictions religieuses ?
L’ouverture des archives permet aujourd’hui d’émettre des hypothèses sur un crime qui souleva, en son temps, une vive indignation dans la population du massif de Lanvaux. Loin de se vouloir exhaustif, cet article repose essentiellement sur l’exploitation des documents disponibles au sein du fonds des Renseignements Généraux des archives départementales du Morbihan. Dans un souci d’objectivité, très peu de témoignages ont été utilisés à ce stade de l’analyse. Au bilan, les chapitres d’accusation le plus souvent retenus contre Emmanuel Rallier sont mis à mal par la triste objectivité des faits. L’enquête conduite par les policiers vannetais permet en effet de prendre la pleine mesure de l’anarchie qui régna pendant les ultimes semaines de l’occupation et aboutit aux agissements d’un groupe de résistants incontrôlés dont les exactions furent nombreuses dans la région de Baud.
Les faits
Revenons d’abord sur les faits. Le 29 juillet 1944, le Morbihan est encore occupé par les troupes allemandes. Une compagnie de soldats géorgiens appartenant à la 265ème division d’infanterie de la Wehrmacht est implantée au bourg de Pluvigner, à seulement quelques kilomètres des lieux du crime.
Ce jour-là, à la tombée de la nuit, un groupe de plusieurs individus se présente au presbytère de Bieuzy-Lanvaux. Sont présents l’abbé Rallier Emmanuel et sa sœur qui va ouvrir la porte aux inconnus. L’un d’entre eux lui demande de voir monsieur le recteur pour le prévenir qu’une personne nommée Guillemette se trouvait malade au village dit Scoll-Bouh1. Elle appelle alors son frère qui sans méfiance descend du 1er étage de son logement.
Brusquement, les évènements se précipitent. Plusieurs hommes pénètrent armés dans la maison. Dans la cuisine, ils brisent les vitres de la porte donnant sur le jardin puis l’ouvre brutalement. Ils hurlent aux deux habitants de lever leurs bras. Sans qu’ils ne puissent réagir, le « haut les mains » est suivi d’un tir à bout portant. Le déchaînement de violence est extrême. Dans leur acharnement, les agresseurs déchargent complètement le contenu de leur révolver. Frappé de deux balles en plein visage, l’abbé Rallier meurt instantanément. Sa sœur est quant à elle blessée2 gravement par une troisième balle. Profitant de l’obscurité, le groupe prend la fuite et ne sera plus revu à Bieuzy-Lanvaux.
Dans un secteur forestier enclin à un anticléricalisme souvent primaire, l’assassinat du prêtre va choquer. L’abbé Rallier était très apprécié par la population et bénéficiait du soutien de sa hiérarchie ecclésiastique. Mais ce sont surtout les crimes perpétrés dans la région de Baud-Auray au moment de la Libération qui soulevèrent l’indignation de la population. Car l’affaire Rallier semble n’avoir été qu’un des épisodes d’une longue série d’actes criminels commis par une même équipe de jeunes hommes originaires des communes voisines de Pluvigner.

L’enquête
Dès le 2 septembre 19443, le préfet du Morbihan va ordonner que soit diligentée une enquête visant à faire le jour sur l’affaire Rallier mais également sur une tentative d’assassinat contre le curé de Baud, l’abbé Mary et son vicaire, l’abbé Le Déau, le 4 août 1944. L’enquête est confiée à l’inspecteur de police vannetais Graviou.
Le 6 septembre suivant, Graviou rapporte au chef du service des renseignements généraux de Vannes que les deux agressions pourraient avoir été commises par un même groupe de FTP baldiviens dont au moins deux membres ont pu être identifiés.
« Au cours de mes investigations, il m’a été permis d’apprendre qu’un jeune homme de 18 à 19 ans, dénommé MABET, originaire de l’Ile de Groix, faisant partie d’un groupe de FTP de la région de Baud, et qui faisait équipe avec un sujet espagnol prénommé MARIO, se vanterait d’avoir descendu le recteur de Bieuzy-Lanvaux à qui il reprochait
ses idées collaborationnistes, quoique celui-ci soit considéré par tous les prêtres de cette région comme ayant toujours manifesté des sentiments purement français.»4
Le rapport d’enquête livre également de nombreux détails sur la tentative d’assassinat de l’abbé Mary, ce qui permet d’expliquer comment Graviou fit le rapprochement entre les deux affaires.
Le vendredi 4 août 1944 vers 19h15, trois groupes, comprenant à chaque fois 2 individus armés de mitraillettes se sont présentés successivement au presbytère de Baud, demandant à voir l’abbé MARY, curé de cette ville et l’abbé LEDEAU, son vicaire, disant que ces derniers étaient des collaborateurs, qu’ils avaient dénoncé des patriotes et que l’abbé MARY était un autonomiste notoire5.
Ce soir-là, les deux ecclésiastiques ne sont pas présents. Sur les conseils du vicaire général, l’abbé Baron, ils ont quitté Baud depuis quelques jours. En juillet, ils avaient déjà fait l’objet de menaces directes. Après l’assassinat de leur collègue Rallier, les intéressés vont juger plus prudent de trouver refuge en lieu sûr, ce qui va certainement les sauver d’une exécution sommaire le soir du 4 août.
Le rapport précise par ailleurs que les individus fouillèrent la chambre de l’abbé MARY et partirent en emportant une paire de jumelles et des papiers6. Il ajoute qu’au cours de l’action, l’un des membres des groupes que l’on supposa être le groisillon Mabet, déclara qu’il avait descendu le curé de Bieuzy et qu’il aurait la tête de celui de Baud. Si Mabet ne fut pas formellement identifié, l’allusion faite au crime de Bieuzy-Lanvaux par l’un des agresseurs permit à l’inspecteur de police d’établir un lien entre les deux affaires.
Une enquête relancée par une note anonyme
Mais derrière Mabet et cet espagnol prénommé Mario qui trouve-t-on ?
Au stade de l’enquête atteint en septembre 1944, il ne sera pas possible d’obtenir plus d’informations.
Il faut attendre mars 1945 pour que des éléments complémentaires apportent un éclairage nouveau. La 13ème Brigade de Police Judiciaire de Rennes va alors être chargée d’enquêter sur la situation politique générale du Morbihan et en particulier sur les menées séparatistes des anciens adhérents du Parti National Breton (PNB)7. À l’époque, la guerre n’est pas encore achevée. Des poches de résistance sont toujours occupées par des troupes allemandes qui ne capituleront que le 7 mai 1945. Outre les combats dont l’écho du canon raisonne jusque dans la campagne de Pluvigner, la région sort d’un hiver extrêmement rigoureux qui a accentué les souffrances d’une population en proie à des difficultés chroniques d’approvisionnement.
Dans ce contexte, au moins un courrier anonyme8 va parvenir à la préfecture. Il y est fait mention de problèmes d’approvisionnement, de la renaissance de maquis « bruns » animés par d’ex-membres du PNB et surtout de la lenteur de l’épuration.
Sur ce dernier point, le secteur de Camors-Baud va faire l’objet d’une attention particulière de la part de la préfecture de Morbihan. Les dernières semaines de l’occupation y avaient été très violentes. On s’était battu courageusement mais les règlements de compte avaient également été nombreux.
Sur fond de fortes rivalités politiques, en mars 1945, la tension n’était donc pas retombée dans les forêts de Lanvaux. D’aucuns considéraient ouvertement que les comités locaux de libération (CLL) étaient noyautés par d’anciens sympathisants du régime de Vichy. À l’origine de ces propos, on retrouve la note anonyme évoquée précédemment. Transmise par le directeur parisien des services de la police judiciaire au chef du service régional de la police judiciaire, elle aboutira finalement sur le bureau du préfet du Morbihan, lequel décidera de faire jour sur des accusations qui, d’une certaine manière, remettaient en cause sa propre action dans le département. Certains CLL y étaient en effet accusés de procéder à des arrestations abusives de « bons patriotes » qui avaient eu le tort, selon les détracteurs anonymes, de participer à des opérations de police contre d’anciens miliciens comme Louis Noguès de la formation Perrot, arrêté à Baud le 9 septembre 19449. La note cite le village de Camors et implicitement évoque les arrestations conduites par la prévôté de la 19ème Région militaire dans cette région en décembre 1944.

Les exécutions du groupe FTP Le Nicol

À cette époque, l’un des groupes FTP baldiviens les plus actifs mais aussi l’un des plus excessifs au moment de la Libération fut en effet mis aux arrêts par la prévôté militaire. L’interpellation mouvementée suscitera la vive réprobation de la presse communiste départementale. Dans sa une du 24 décembre 1944, « L’espoir du Morbihan » utilisera le titre évocateur « Les méthodes fascistes doivent cesser ! »10. Mais derrière la révocation verbale, se cache l’action d’un groupe commandé par le baldivien Joachim Le Nicol, surnommé « Capitaine RUYS ». L’enquête des policiers rennais permettra d’établir que celui-ci était directement impliqué dans l’affaire Rallier.
« En juillet et août 1944, au moment de la libération 9 assassinats et 5 attaques de fermes, le tout représentant un total d’environ 350 000 francs, furent perpétrés dans la région de Baud-Camors par quelques FTP commandés par LE NICOL Joachim, 28 ans, demeurant à Baud et surnommé : « Capitaine RUYS ». Faisaient partie de cette bande les nommés GALICK Michel d’origine polonaise et demeurant à Nantes, LAFFERRIERE Auguste, LE GALLO François, EVENO Léon presque tous de la région. Si certains crimes (deux ou trois) ont atteint des personnes à l’activité anti-française nettement caractérisée (cas d’un interprète à Lorient nommé JACOB entre autres) par contre l’émotion soulevée par les meurtres du curé RALLIER à Bieuzy, HOUITTE, directeur d’école à Baud, du jeune LE MOULLEC de Langroez, HIRGAIN, ALBESSARD Jean (ce dernier d’idées communistes) a fini par faire déclencher l’action de la justice et de la prévôté militaire car ces FTP assimilés à l’armée avaient été commandés, disent-ils, par des soldats parachutistes, qu’on recherche actuellement vers Epernay pour les entendre sur la véracité de ces faits. »11
Le rapport de mars 1945 évoquait également l’affaire du curé Mary de Baud mais aucun lien n’y fut établi avec les activités du groupe Le Nicol.
Si l’on s’en tient au bilan présenté dans ce document, et notamment au cas de Jean Albessard, le groupe Le Nicol pourrait avoir opéré jusque dans le secteur d’Auray. Le document du 6 mars 1945 évoque les meurtres de neuf personnes et cite précisément les cas Rallier de Bieuzy-Lanvaux, Houitte de Baud, Le Moullec de Langroez (Peut-être s’agit-il de Langroix en Camors ?), Hirgair12 Vincent de Baud, Albessard Jean d’Auray et un interprète de la région lorientaise dénommé Jacob. À partir de cette liste de sept noms, reprenons cas par cas les exécutions imputées au groupe Le Nicol.
En ce qui concerne l’instituteur baldivien Houitte, peu d’informations sont disponibles à ce stade de l’étude. Seul le recensement13 des exécutions sommaires réalisées dans le Morbihan précise que Houitte, instituteur public, fut abattu par des FTP de Baud.
S’agissant du jeune Le Moullec de Langroez, aucune information n’a pu être trouvée au sujet d’un Le Moullec abattu par la résistance à Langroix. En revanche, la liste départementale des exécutions sommaires de collaborateurs cite le cas d’un Le Moullec Auguste, agent d’assurance, abattu le 21 juillet 1944 à son domicile de Saint-Barthélemy par des FTP14. Celui-ci était accusé d’avoir appartenu au PNB. Le compte-rendu de décès fut réalisé par la gendarmerie de Baud ce qui laisse penser que les auteurs de l’exécution étaient des FTP de Baud mais que Graviou a pu commettre une erreur en localisant à Langroix en Camors le lieu de résidence de Le Moullec. Peut-être y a-t-il eu aussi confusion avec Etienne Le Moigno, un jeune militant nationaliste breton de Lambel Camors dont nous analyserons le parcours ultérieurement.
Mais revenons au cas d’Auguste Le Moullec. Celui-ci fut effectivement abattu le 21 juillet 1944 par des FTP de Baud à son domicile de Saint-Barthélemy. En 1945, une enquête conduite par les services des RG du Morbihan établit les faits suivants15. Né en décembre 1904 à Melrand, Auguste Le Moullec s’était marié avec Angèle Corin de Saint-Barthélemy où ses parents tenaient un commerce de tissus et une épicerie. Devenu instituteur, il fut un temps en poste dans la région de Guémené-sur-Scorff. Très vite, il changea de voie professionnelle et fut employé comme comptable aux forges de Basse-Indre avant d’acheter avec un ami nationaliste breton de Languidic répondant au nom de Le Méliner un portefeuille d’assurance de « La Mutuelle Agricole de Paris ». Connu pour être un nationaliste notoire.
Le Méliner était propriétaire du moulin de Baudry à Languidic et devint, selon les RG, le principal client de Le Moullec. Cette relation amicale et professionnelle amena Le Moullec à adhérer au PNB mais moins par conviction politique que par intérêt pour le réseau de connaissances dont lui ferait bénéficier Le Méliner dans ses affaires. Adjoint au maire de Saint-Barthélemy, son beau-père exprimait une opinion similaire à propos de la supposée sympathie nationaliste de son gendre. Ainsi, s’il reconnut que celui-ci recevait « L’Heure Bretonne », il prétendait cependant que le journal lui était adressé gratuitement à titre de propagande. En outre, Auguste Le Moullec jouissait dans la commune de Saint-Barthélemy d’une grande estime de la part de la population qui n’eut jamais écho d’une quelconque forme de prosélytisme nationaliste de sa part.
Tout porte donc à croire qu’il ne fut pas un nationaliste extrémiste. Sa relation avec Le Méliner va pourtant suffire à en faire un suspect dont le sort sera scellé le 21 juillet 1944. Selon Alphonse Le Cunff, alias Capitaine Bernard, officier FTP commandant une compagnie du 5ème bataillon FTPF, la décision de l’arrêter fut prise par deux officiers parachutistes SAS dont les pseudonymes étaient Michel et Maurice. Dans un premier temps, il ne s’agissait pas de l’exécuter mais bien de l’interroger au maquis où cantonnait la compagnie de Le Cunff. Dans ce but, une patrouille fut confiée à Paul Thomas par Le Cunff. Les évènements vont ensuite se dérouler de la manière suivante :
« Le 21 juillet 1944, vers 23 heures, 3 jeunes gens se présentaient à son domicile, pendant que 3 autres faisaient le guet. Ils réclamèrent Le Moullec et lui demandèrent de bien vouloir les suivre à 200 mètres où les attendait leur chef. Devant le refus formel de celui-ci de sortir à une heure aussi tardive, les deux jeunes gens armés chacun d’un révolver de calibre 9 mm l’abattirent de 11 balles sans lui avoir fourni la moindre explication. Ces derniers prirent la fuite aussitôt leur mission accomplie ».
Même si l’exécution de Le Moullec fut bien réalisée par des FTP de Baud. Les éléments montrent bien que dans ce cas, la culpabilité de Le Nicol n’est pas établie.
Passons à Vincent Hirgair. Selon la préfecture du Morbihan16, celui-ci fut aussi abattu par les FTP de la région de Baud le 29 juillet 1944 parce que sa sœur était affiliée au PNB et que son fils appartenait à la milice Perrot. Dans ce cas précis, il ne fait aucun doute que Vincent Hirgair fut exécuté en représailles aux agissements de sa sœur Anna et de son fils Pierre.
La famille Hirgair habitait au Scaouët, hameau situé à quelques centaines de mètres au sud de la ville de Baud. Fils d’une fratrie de dix enfants qui comptaient trois filles et sept garçons dont trois prêtres, Hirgair vivait à cet endroit des produits de sa ferme. Né le 3 mai 1922 à Baud, l’un de ses fils s’appelait effectivement Pierre. Celui rentrera dans la milice Perrot en 1944. Au moment de l’arrivée des troupes américaines en Bretagne, il suivra les Allemands en compagnie des membres les plus résolus de la formation Perrot. Il sera ensuite incorporé dans une unité de la Waffen-SS au sein de laquelle, il sera finalement mortellement blessé en 1945 par l’aviation alliée.
Anna Hirgair était quant à elle née à Baud le 8 novembre 1892. Comme son frère, elle exerçait la profession de cultivatrice. Restée célibataire, elle habitait au Scaouët, sur la route menant au centre-ville de Baud. Très attachée à la culture bretonne, elle avait été présidente du groupe folklorique baldivien des Bruyères d’Arvor et adhéra autour de l’année 1937 au mouvement « Breizh Atao ».
Considérée par la police comme une militante acharnée et audacieuse de la cause nationaliste bretonne, elle était l’âme du PNB à Baud dont le siège de la section locale se trouvait à son domicile.
Pour le service des renseignements généraux17, c’est chez elle qu’avaient lieu la plupart des réunions et que les membres prenaient leurs consignes. En ce sens, elle exerçait une grande influence sur les jeunes militants de sa cellule. Ceci peut expliquer que son neveu Pierre tout comme les jeunes Louis Noguès et Marcel Bibé se soient engagé en 1944 dans la milice Perrot.
Pour beaucoup de Baldiviens, elle était en outre au courant de la vague d’arrestations que le service de renseignement SS de Vannes organisa entre le 7 et le 10 février 1944 dans la région de Baud. Il fut même rapporté à la police vannetaise qu’un « conseil de guerre » s’était tenu chez elle 18 fin janvier et qu’une partie des arrestations avait été décidée à cette occasion. Quelle qu’ait été la nature des discussions lors de cette réunion, il fut établi après la Libération qu’au moins deux militants nationalistes proches de la famille Hirgair, Jasson Léon et Marcel Bibé19, jouèrent un rôle très actif lors de l’opération du 7 février. Selon la cours de justice de Vannes20, ils guidèrent tous les deux les Allemands lors des recherches effectuées à Baud et, à Camors, Bibé procéda personnellement à l’arrestation des époux Lamour et de leurs amis Le Gallo.
Au bilan, les Allemands vont conduire entre le 7 et le 10 février 1944 dans la région de Camors et Baud une grande opération de contre-insurrection qui aboutira à la destruction du premier maquis permanent du Morbihan implanté à Poulmain-Crann en Baud depuis décembre 1943. Le 7 février, au moins huit personnes seront tout d’abord arrêtées à Camors et Baud :
- Firmin Lamour, menuisier né le 29 août 1904, meurt en déportation au camp d’Oranienburg ;
- Amédée Le Gallo, commerçant né le 23 février 1920, meurt en déportation au camp Bergen-Belsen ;
- Mathurin Le Gallo, manœuvre né le 16 juillet 1926, arrêté à Baud, déporté à Ravensbrück, rentrera de déportation ;
- Le Gouas Marcel, ouvrier né le 6 juin 1906, arrêté à Baud, déporté à Sachenhausen, rentrera de déportation ;
- Le Gouas Joseph, ouvrier né le 29 avril 1911, arrêté à Baud, déporté à Sachenhausen, rentrera de déportation ;
- Le Marrec Henri, ouvrier né le 4 juin 1912, arrêté à Baud, déporté à Ravensbrück, rentrera de déportation ;
- Le Gouas Julien, cimentier né le 22 mars 1921, arrêté à Baud, déporté à Sachenhausen, rentrera de déportation ;
- Petitjean Georges, ajusteur né le 27 février 1920, arrêté à Baud, déporté à Oranienburg, il rentrera vivant de déportation.
Le 10 février 1944, deux nouvelles arrestations ont lieu à Baud21 et le maquis de Poulmain-Crann est attaqué par une unité de cavalerie ukrainienne stationnée au camp militaire de Coëtquidan. Cette dernière action se soldera par l’exécution d’Alphonse Bouler, de Georges Lestréhan, de Emile Le Labourer et du jeune Mathurin Henrio âgé de 14 ans. Deux maquisards seront également capturés, Eugène Thomas et Pierre Lantil.
Pour toutes ces raisons et en particuliers à cause du traumatisme induit par cette vague de répression, l’exécution de Vincent Hirgair fut décidée et réalisée le 29 juillet près du village de Coz Camor par un groupe de FTP de Baud qui fut celui de Le Nicol. Le groupe se présenta au Scaouët, cherchant également à arrêter Anna. Prudente, celle-ci avait fui dans un village voisin. Vincent Hirgair et deux de ses filles furent emmenés. En passant à proximité du pont de l’Evel près de la gare de Baud, les FTP relâchèrent les deux filles Hirgair. Leur père leur demanda de rentrer au Scaouët et ajouta qu’il les rejoindrait très rapidement22, pensant peut-être encore à cet instant échapper à la mort. Arrivé à Coz Camor, Vincent Hirgair fut fusillé en lisière de bois et enterré sous un arbre.
Dans le cas de Jean Albessard23, il est confirmé qu’il fut effectivement arrêté à Auray le 5 août et fusillé à Baden la nuit ou le jour suivant24. Mais dans les archives dont nous disposons, rien ne permet d’établir l’implication du groupe Le Nicol. Le 12 août 1944, un rapport25 des renseignements généraux signifiait au préfet du Morbihan que Jean Albessard, (…), a été fusillé dimanche 6 août courant par les FFI, à Baden (Morbihan), à la suite d’un interrogatoire au cours duquel il aurait reconnu avoir été pressenti de toucher une somme de 100 000 francs de la part des autorités allemandes en vue de donner tous les renseignements susceptibles d’amener l’arrestation du commandant Manceau domicilié à Auray.
Pour la préfecture, sans plus de précisions, Jean Albessard fut exécuté le 6-8-1944 pour sentiments collaborationnistes notoires – aurait été un dénonciateur. Selon toutes vraisemblances, il fut abattu à Baden avec deux prisonniers allemands par un sous-officier parachutiste SAS ce qui écarte Le Nicol de cette affaire.
Concernant le cas Jacob, aucune information n’a pu être recueilli au sujet de ce réfugié lorientais. En revanche, deux autres meurtres survenus à Camors pourraient avoir également eu un lien avec le groupe Le Nicol car au moins un membre du groupe est cité dans l’une des deux enquêtes. De plus, dans les deux cas les FTP de Baud sont désignés comme les auteurs des exécutions. Il s’agit des assassinats de Julien Bihouis, charcutier à Langroix et du nationaliste breton Le Moigno Etienne.
Accusé de collaboration économique26, Julien Bihouis fut abattu le 6 avril 1944 par les FTP de la région de Baud à son domicile. Selon le rapport27 rédigé par le commissaire Paoli de Vannes, Bihouis fut tué de plusieurs coups de feu tirés par trois individus qui se sont ensuite enfuis dans une voiture automobile. L’adjudant-chef Le Merdy, adjoint de la section de gendarmerie de Lorient repliée à Auray, rédigea le 7 avril le rapport suivant :
« (---) Le 6 avril 1944, à 23 heures, monsieur Bihouis, Julien, charcutier à Langroix en Camors (Morbihan) a été tué à son domicile par des inconnus. Deux automobiles se sont arrêtées à quelques centaines de mètres de son domicile et plusieurs individus, dont le nombre n’a pu être déterminé, en sont descendus.
Trois individus masqués et armés de mitraillettes et d’un révolver ont pénétré chez monsieur Bihouis pendant que les autres faisaient le guet à l’extérieur. Après s’être assuré qu’ils étaient bien au domicile de monsieur Bihouis, ils ont demandé après le fils. Celui-ci étant absent, ils ont demandé après son père. Ils se sont fait accompagner par madame Bihouis dans la pièce occupée par son mari. Au moment où il descendait de son lit, les deux individus armés de mitraillettes ont fait feu sur lui,
l’atteignant de 12 projectiles sur diverses parties du corps.
Avant leur départ, ils ont déposé sur une table deux écrits ainsi libellés : Descendu par les patriotes, étant ami des boches.
Aucun renseignement n’a pu être recueilli sur les auteurs de cet attentat.
Auray, le 7 avril 1944».
Cinq ans après son décès, une enquête28 fut menée par les renseignements généraux afin de déterminer si la mention « Mort pour la France » pouvait être attribuée à l’intéressé. Dans ce cadre, de nombreux éléments permirent de faire le lien avec le groupe Le Nicol mais n’apportèrent toutefois pas de preuves formelles.
En 1944, Julien Bihouis, 49 ans, tenait un florissant commerce de charcuterie à Langroix en Camors.
Considéré comme un « amis des boches » par des voisins jaloux de sa réussite financière, Bihouis et son fils Raymond s’étaient faits de farouches ennemis dans la région de Camors. Mais contrairement aux dénégations proférées à son encontre, les Allemands ne fréquentaient pas sa charcuterie et finalement son travail profita principalement à une clientèle nombreuse provenant de Camors et de villages importants du voisinage.
Malgré cela, la haine engendrée par la jalousie de deux familles de réfugiés lorientais à Langroix va conduire au drame du 6 avril 1944. Le rapport évoque les disputes fréquentes, particulièrement avec la famille Laferrière, d’opinions politiques communiste et dont le fils, Auguste, appartiendra effectivement au groupe FTP de Le Nicol. Selon le rapport, en mars 1944, des menaces de mort furent proférées devant témoin, par Auguste Laferrière, à l’égard de la famille Bihouis.
Quelques années plus tard, Mme Bihouis retrouvera la trace des assassins29 de son mari et leur rendit visite. L’un d’entre eux lui fit savoir que l’exécution avait été ordonnée par un officier FTP répondant au pseudonyme de « commandant Etienne »30 mais qui était décédé entre temps. Au bilan, la preuve fut apportée qu’Auguste Laferrière n’était pas l’auteur du meurtre mais qu’il n’y était pas totalement étranger.
Le cas d’Etienne Le Moigno est très différent car il fut abattu en raison de son appartenance, disait-on à l’époque, à la milice. Le document établi par la préfecture du Morbihan mentionne la date très peu probable de début 1944 mais précise également que les auteurs de l’exécution étaient des FTP de ce même document ajoute qu’il fut exécuté sur ordre de parachutistes, ce qui là aussi semble peu probable car les parachutistes SAS n’arriveront dans le Morbihan que début juin 1944 et dans le secteur de Baud après la bataille de Saint Marcel le 18 juin 1944.
Qui était Etienne Le Moigno ? En septembre 194431, il fut présenté par les services de police de Vannes comme un adhérent du PNB résidant à Lambel Camors qui avait dénoncé des personnes arrêtées à Baud. Quelques mois plus tôt, il avait déjà été identifié comme un membre

« encarté »32 au PNB depuis le 7 juillet 1943. Selon certains documents, Le Moigno aurait été arrêté par la Résistance avec l’aide de parachutistes SAS car il était un agent de renseignement des Allemands. Au cours de l’interrogatoire qui précéda son exécution, il fut rapporté par l’instituteur Dervout de Camors, que Le Moigno donna les noms d’autres indicateurs originaires de Camors et sa région qui travaillaient pour les Allemands. Le nom du dénonciateur de l’un des membres du célèbre réseau de la Confrérie-Notre Dame (sous-secteur Castille), Julien Corlé de Langroix en Camors fut également révélé à cette occasion.
Selon toute vraisemblance, Etienne Le Moigno fut donc un membre du PNB, utilisé comme agent de renseignement par les Allemands. Dans sa famille, il ne fut d’ailleurs pas le seul à suivre la voie de la collaboration car l’un de ses proches aînés33 sera lui aussi exécuté par des FTP le 26 juillet 1944 à Kerfloch en Languidic.
En dehors des cas Rallier et Hirgair, il n’est donc pas établi que le capitaine « Ruys » soit le principal responsable de toutes ces exécutions sommaires. En revanche, il apparaît clairement que les groupes FTP de Baud, auxquels furent raccrochés Le Nicol et son équipe, portent une large responsabilité dans les exactions commises à la Libération dans le secteur occidental des landes de Lanvaux.


La composition du groupe Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) Le Nicol
Avant d’aborder sa composition, quelques mots tout d’abord sur le mouvement de résistance auquel appartenait ce groupe. L’origine FTP du groupe est confirmée à plusieurs reprises.
Le groupe de Le Nicol était implanté dans la zone de recrutement du 2ème Bataillon FFI mais du fait de son origine FTPF ne recevait aucun ordre de son chef, le chef d’escadron Le Garrec. Il conserva donc une grande autonomie et n’établit, semble-t-il, que très peu de liens opérationnels avec les hommes de Le Garrec. Après la guerre, ces hommes homologuèrent leurs états de service auprès du 1er Bataillon FTPF qui engloba l’ensemble des isolés, à titre de régularisation. Dans les faits, ces groupes opérèrent de façon autonome, en relevant toutefois de l’autorité du chef FTPF de la région de Baud qui d’une manière générale, dans le secteur de Baud-Camors, les relations opérationnelles avec les FTP ne furent pas bonnes.

Membre du mouvement National Maquis, le baldivien Jean Morvan témoigna34 en 1969 de cette situation. En mars 1944, il fut notamment chargé de rencontrer les chefs FTP à Camors afin d’éviter que des actions non-coordonnées ne finissent par nuire à l’efficacité globale de la Résistance. Le 2 mars 1944, l’attaque par les FTP d’un bureau de tabac à Lanvaudan avait en effet incité les Allemands à renforcer leur dispositif de contrôle routier, ce qui avait abouti à l’interception d‘une camionnette remplie d’armes que le National Maquis avait récupérées à Crann35 en Baud. La rencontre eut lieu dans la salle à manger de l’instituteur laïc Toussaint Le Carff. La discussion porta principalement sur la coordination des opérations. Mais elle tourna court car le responsable du Front
National présent répliqua à Jean Morvan que les FTP sont les maîtres et qu’ils n’ont d’ordres à recevoir de personne36.
Mais au-delà des frictions observées entre groupes de résistance, tentons de reconstituer la composition du groupe de Joachim Le Nicol en partant tout d’abord de la liste établie par les RG :
-­‐ Joachim Le Nicol, alias capitaine Ruys, né en 1916 ; habitait à Baud
-­‐ Eveno Léon, matricule 5164137, né le 13 décembre 1925 à Camors, membre du 1er bataillon
FTPF du 4 janvier au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Galick Michel, polonais d’origine, demeurant à Nantes ;
-­‐ Laferrière (Lafferrière) Auguste, matricule 5563438, né le 26/07/1924 à Camors, membre du 1er bataillon FTPF du 15 janvier au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Gallo François, sergent ;
-­‐ Mario, en dehors de son origine espagnol, aucun renseignement complémentaire n’a pu être recueilli sur l’intéressé ;
-­‐ Mabet, originaire de l’ile de Groix, il fut certainement réfugié dans le secteur de Camor.
L’intéressé ne fit homologuer ses services dans aucun mouvement de résistance.
Quels furent par ailleurs les autres membres des FTP recrutés dans le secteur de Baud-Camors ? A partir des documents d’homologation réalisés par le 1er Bataillon FTPF, il est possible d’établir des listes qui n’ont toutefois pas la prétention d’être exhaustives.
Sur la commune de Camors, sont recensés les personnels suivants :
-­‐ Guillemet Armand, matricule 2017, né le 7 janvier 1926 à Camors, membre du 1er bataillon FTPF du 6 novembre 1943 au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Hamon Roger, matricule 5249839, né le 6 décembre 1924 à Camors, membre du 1er bataillon FTPF du 1er juillet au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Roch Emile, né le 10 février 1919 à Camors, membre du 1er bataillon FTPF du 1er avril 1943 au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Roy Emile, né le 9 février 1919 à Camors, membre du 1er bataillon FTPF du 1er mai 1943 au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Sourd Louis, né le 15 mars 1923 à Camors, membre du 1er bataillon FTPF du 1er janvier 1941 au 25 novembre 1944 ;
À Baud, les recrues suivantes firent homologuer leurs services au titre des FTPF :
-­‐ Kergosien Robert, matricule 3019, né le 7 février 1926 à Baud, membre du 1er bataillon FTPF du 4 décembre 1943 au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Saux Thomas, matricule 2022, né le 4 mars 1925 à Baud, membre du 1er bataillon FTPF du 25 juin 1944 au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Magueresse Joseph, sergent, matricule 302040, né le 13 novembre 1920 à Baud, membre du 1er bataillon FTPF du 9 avril au 25 novembre 1944 ;
-­‐ Le Pallec Pierre, né le 06 décembre 1920 à Baud, membre du 1er bataillon FTPF à compter du 1er mars 1942 ;
-­‐ Maho Louis, né le 5 octobre 1910 à Baud, membre du 1er bataillon FTPF du 3 septembre 1942 au 14 septembre 1944.
Au total, partant des effectifs homologués après la guerre, il est possible d’affirmer que les FTPF de la région de Baud-Camors comptèrent dans leurs rangs près d’une trentaine de membres actifs dont une petite dizaine faisait partie du groupe de Le Nicol.
Comme évoqué dans le rapport, les membres étaient principalement originaires ou réfugiés dans le secteur de Baud et ses environs. Le nom des deux communes, Baud et Camors, où se déroulèrent les interpellations de décembre 1944, confirme d’ailleurs ce recrutement à caractère local. Comme bien souvent dans le pays d’Auray, la présence de réfugiés de la région de Lorient ou de grandes villes bretonnes est confirmée. Peu liés au secteur qui les accueillait, ces « extérieurs » ajouteront souvent au phénomène de « brutalisation » dont feront preuve les membres les plus radicaux des groupes de Résistance. Surnommé « le Polonais », le Nantais Michel Galick était ainsi connu pour sa froide violence lors des exécutions de collaborateurs.
Selon les archives des bataillons FTPF du Morbihan, les FTP du secteur de Baud-Camors furent recrutés dès le mois de mars 1942. Les activités furent dans un premier temps concentrées sur la commune de Baud où était établie la structure de commandement départementale du Front National.
Les équipiers des FTP vont ensuite progressivement être incorporés dans des groupes de guérillas dont la structure pourra varier de la simple équipe (4-5 hommes) au celle du groupe (10-15 hommes).
Quels furent les mobiles du crime ?
Pourquoi ces jeunes hommes ont-ils assassiné un homme dont le comportement ne fut jamais considéré comme « anti-national », tant par les services départementaux des renseignements généraux que par les autorités ecclésiastiques du diocèse de Vannes.
Parmi les accusations prononcées le plus souvent contre l’abbé Rallier et ses confrères de Baud on retrouve les chapitres suivants :
-­‐ selon Graviou, Mabet reprochait ses idées collaborationnistes à l’abbé Rallier,
-­‐ dans le cas des affaires Mary et Ledeau, tous les prêtres étaient considérés comme des collaborateurs, ils avaient dénoncé des patriotes et l’abbé MARY était (en particuliers) un autonomiste notoire.
Vraies ou fausses, ces pistes méritent toutefois que l’on cherche à comprendre comment d’aucuns sont parvenus à leur accorder un certain crédit. Aujourd’hui encore la rumeur colporte que Rallier accueillait bien volontiers des réunions d’autonomistes dans son presbytère ou qu’il fut le dénonciateur du maquis des « Sept trous », attaqué en forêt de Florange par les Allemands fin juin 1944.
Tout d’abord, l’abbé Rallier fut-il un collaborateur, un dénonciateur de patriotes ? En l’état des connaissances actuelles, aucun élément sérieux n’accrédite cette thèse. En revanche, il est tout à fait vraisemblable que l’intéressé ait pu être victime d’un amalgame. Celui consistant à faire un raccourci simpliste entre le régime de Vichy et le conservatisme des milieux ecclésiastiques. Tous les arguments étaient ensuite bons pour étayer cette vision. Alors jeune habitante de Bieuzy-Lanvaux, Eugénie Le Bourhis se rappelle combien, notamment la construction de l’école Libre en 1943, alimenta les rumeurs de collusion entre le prêtre et les autorités d’occupation. Dynamique et intelligent, l’abbé porta le projet à son terme avec une grande efficacité. Bénéficiant d’un réseau de connaissances solidement implantées auprès de la préfecture, il obtint dans des délais extrêmement courts toute l’aide matériel et financière dont il avait besoin. Dans le contexte de restrictions de l’époque, cette réussite surprit et conforta aussi certains adversaires du prêtre dans leur appréciation sur son comportement patriotique.
S’agissant de l’attaque du maquis des « Sept trous » survenue le 28 juin 1944, l’examen des faits montre que Rallier ne peut pas non plus être considéré comme son dénonciateur. Ce maquis fut découvert dans le cadre d’une action militaire allemande que seule la fortune des combats fit aboutir en forêt de Florange. L’attaque des « Sept trous » intervint en effet lors de la poursuite des maquisards du 1er bataillon FFI échappés du camp de Botségalo suite à son démantèlement le 22 juin 1944.
Par ailleurs, évoquée à plusieurs reprises, la piste autonomiste peut-elle être crédible ? Après la Libération, la préfecture du Morbihan considérait toujours qu’Emmanuel Rallier avait été exécuté parce qu’il était accusé d’autonomisme.
Cette assertion incite tout d’abord à s’interroger sur le rôle joué par le monde ecclésiastique dans les activités du PNB. Sur cette question, il convient tout d’abord de noter que les prêtres du Morbihan ne furent pas plus représentés qu’une autre catégorie dans les milieux autonomistes. À cet égard, l’étude de la liste des abonnés de l’année 1941 à l’ « Heure bretonne » est très révélatrice. Sur 367 abonnés dans le Morbihan, cinq seulement étaient des prêtres soit moins de 2%41 de l’effectif total. Un ratio similaire peut être observé dans les autres départements bretons. La liste des prêtres considérés comme des adhérents du PNB vient également confirmer cette première impression puisque dans le Morbihan, en septembre 194342, les RG n’en recensèrent que dix.

-­‐ Abbé Allanic Louis, Petit Séminaire, Ste Anne d’Auray ;
-­‐ Abbé Le Bouédec, Le Faouët ;
-­‐ Recteur Legac, Paule ;
-­‐ Recteur Le Runigo, Locmaria par Vannes ;
-­‐ Vicaire Le Coguic Yves, Le Saint ;
-­‐ Vicaire Vaillant François-Marie, Melrand ;


Côtes d’Armor

-­‐ Recteur Clisson, Servel par Lannion ;
-­‐ Recteur Le Gougnec François, Gueven ;
-­‐ Abbé Le Saux Pierre, Plouha ;
-­‐ Curé doyen Quéneven, Plouaret ;
-­‐ Abbé Simon Erwann, Sacré Coeur Vieux Marché ;


Ile et Vilaine

-­‐ Recteur Jouault, Chasne par Saint Aubin d’Aubigné ;
-­‐ Abbé Panaget René, Ker Floréal AF Buisson St Malo ;
-­‐ Abbé Rivet, Pensionnat St Magloire Dol ;


Finistère

-­‐ Abbé Le Disez, Lanvollon ;
-­‐ Recteur Saout, St Goazec ;


Hors Bretagne

-­‐ Vicaire Donval Goulven, Nogent Le Rotrou ;
-­‐ Abbé Léon H, 15 avenue de la République Villemon ;
-­‐ Ecclésiastique Louis Paul, 96 Bd Jean Jaurès, Clichy ;
-­‐ Abbé Poilbout, St Gilles Jumene ;
-­‐ Abbé Radenac, Theux et Compans par Juilly ;
-­‐ Abbé Riou, Notainville par Mareil S/Maulière ;
-­‐ Abbé Rone, 2 rue Ste Ambroise, Paris 11ème ;

En dehors de quelques figures, de renom comme l’abbé Perrot, le milieu ecclésiastique ne fut donc pas surreprésenté dans les milieux nationalistes bretons. L’influence que pouvaient exercer certains de ces prêtres auprès notamment des élèves dont ils avaient la charge, inquiéta toutefois les services de la police morbihannaise. À l’automne 1943, les RG de Vannes suggérèrent ainsi au préfet du Morbihan que le supérieur du collège St François Xavier de Vannes soit averti afin qu’il fasse cesser toute propagande nationaliste dans ses murs.
Mais peut-être fut-il plutôt assimilé à certains de ses proches collègues qui selon les services vannetais des Renseignements Généraux étaient des membres du PNB. En septembre 194343, les RG adressèrent au préfet du Morbihan une liste de dix prêtres considérés comme nationalistes. Sur ce document, figurait les noms de cinq prêtres vannetais mais surtout ceux de deux prêtres officiant dans des paroisses voisines de Bieuzy-Lanvaux, les abbés Le Maréchal de Pluvigner et Mary44 de Baud.
Dans ces conditions, même si l’activisme des intéressés fut peut être très limité, il est possible que de simples visites de voisinage au presbytère de Bieuzy aient donné lieu à des interprétations tendancieuses sur le nationalisme d’Emmanuel Rallier.
À l’examen des faits, l’abbé Rallier ne fut donc pas le nationaliste dont l’activisme aurait permis, sinon de justifier, au moins d’expliquer la mise à mort expéditive un soir de juillet 1944.
Conclusion
L’assassinat de l’abbé Rallier dans son presbytère de Bieuzy-Lanvaux illustre tragiquement l’atmosphère qui régna dans la région de Baud-Pluvigner pendant les dernières semaines de l’occupation. Le secteur était devenu zone de guerre et les Allemands s’y comportaient avec une brutalité inouïe comme en témoigne l’affaire du Véniel45 le 21 juillet à Pluvigner. La dissolution des brigades de Gendarmerie de Baud, Pluvigner, Landévant, Auray et Grand-Champ ajouta encore à la confusion. Bien souvent, l’antagonisme politique entre « Rouges » et « Blancs » prit alors le pas sur le combat pour la Libération. Dans ce contexte, des groupes sous-encadrés ou incontrôlés comme celui du capitaine « Rhuys » s’adonnèrent à des crimes que n’approuvait pas la population et que s’efforcèrent aussi de combattre les responsables de la Résistance.
En l’état des documents disponibles à ce jour, Emmanuel Rallier ne fut donc pas le nationaliste collaborateur que ses adversaires ont pu décrire. Tout juste peut-on lui reprocher une proximité douteuse avec certains nationalistes bretons issus du monde ecclésiastique. Le crime relèverait donc un groupe de maquisard du 2ème Bataillon FFI fut neutralisé au hameau du Véniel en Pluvigner. Après avoir subi de multiples supplices, les hommes furent exécutés par balle ou brûlés vifs, plus de l’acte inconsidéré, perpétré par un groupe de maquisards FTP dont les excès allèrent crescendo durant les dernières semaines de l’occupation.[/i]

                                                                                     Le Garrec ORA

Militaire de carrière

1 ADM, Fonds Cabinet du préfet du Morbihan, rapport du 11 septembre 1944 au procureur de la République de Lorient, cote 2W15643.

2 ADM, Fonds Cabinet du préfet du Morbihan, rapport du 11 septembre 1944 au procureur de la République de Lorient, cote 2W15643.
3 ADM, Fonds Cabinet du préfet du Morbihan, rapport du 6 septembre 1944 au procureur de la République de Lorient, p1, cote 2W15643.
4 ADM, Fonds Cabinet du préfet du Morbihan, rapport du 6 septembre 1944 au procureur de la République de Lorient, p1, cote 2W15643.

5 ADM, Fonds Cabinet du préfet du Morbihan, rapport du 6 septembre 1944 au procureur de la République de Lorient, p2, cote 2W15643.
6 ADM, Fonds Cabinet du préfet du Morbihan, rapport du 6 septembre 1944 au procureur de la République de Lorient, p2, cote 2W15643.
7 ADM, Fonds de la direction départementale des Renseignements Généraux, Enquêtes collectives 1944, annexe n°1 au rapport du 6 mars 1945 au commissaire Chef de la 13ème Brigade de PJ de Rennes, cote 1526W193.
8 ADM, Fonds de la direction départementale des Renseignements Généraux, Enquêtes collectives 1944, rapport du 6 mars 1945 au commissaire Chef de la 13ème Brigade de PJ de Rennes, p1, cote 1526W193.

9 ADM, Fonds de la direction départementale des Renseignements Généraux, Dossiers individuels 1944, rapport du 13 novembre 1944 au Chef des RG à Vannes, p2, cote 1526W192.
10 ADM, Fonds de la direction départementale des Renseignements Généraux, Enquêtes collectives 1944, rapport du 6 mars 1945 au commissaire Chef de la 13ème Brigade de PJ de Rennes, p4, cote 1526W193.

11 ADM, Fonds de la direction départementale des Renseignements Généraux, Enquêtes collectives 1944, rapport du 6 mars 1945 au commissaire Chef de la 13ème Brigade de PJ de Rennes, p4, cote 1526W193.
12 Sur le document de mars 1945, figure le nom de HIRGAIN. L’auteur du rapport a certainement réalisé une faute de frappe car aucun Hirgain n’a été assassiné pendant la période considérée. En revanche Vincent Hirgair de Baud fut quant à lui exécuté à Coz Camors en 1944.
13 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Exécutions sommaires dans le Morbihan, liste des collaborateurs supposés, cote ?.
14 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Exécutions sommaires dans le Morbihan, liste des collaborateurs supposés, cote ?.
15 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Exécutions sommaires dans le Morbihan, dossier Le Moullec Auguste, cote 1526W194.

16 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Exécutions sommaires dans le Morbihan, collaborateurs supposés, cote ?.

17 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Dossiers individuels, Année 1945, Hirgair Anna, cote 1526 W 193.
18 Hirgair Anne-Marie sera finalement arrêtée le 15 février 1945.
19 Marcel Bibé, né à Paris (6ème) le 16 juillet 1926, demeurait entre 1943 et 1944 chez sa grand-mère, Mme Veuve Tréhin, rue du Liorho à Baud.
20 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Dossiers individuels, Année 1943, Marcel Bibé, cote 1526 W 188.

21 Le Bouédec Louis et de Le Bris Alphonse seront tous les deux fusillés le 21 avril suivant.
22 Témoignage x du 8 mars 2012.
23 Jean Albessard, né à Saignes (Cantal) le 26-12-1895
24 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Dossiers individuels, Année 1942, Albessard Jean, cote 1526 W 181.
25 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Dossiers individuels, Année 1942, Albessard Jean, cote 1526 W 181.

26 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Exécutions sommaires dans le Morbihan, collaborateurs notoires, cote ?.
27 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Dossiers individuels, Année 1944, Bihouis Julien, cote 1526 W 190.

28 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Dossiers individuels, Année 1944, Bihouis Julien, cote 1526 W 190.
29 Deux membres des FTP originaires d’Hennebont.
30 Selon Roger Le Hyaric, le commandant « Etienne », de son vrai nom Jean Kerangouarec, occupait les fonctions de commissaire technique (CT) du comité militaire régional (CMR) au moment de l’assassinat de Julien Bihouis. Moins d’une semaine plus tard, il deviendra le chef des opérations (CO). En tant que responsable des aspects logistiques au sein du poste de commandement des FTP implanté à l’époque à Naizin, Kerangouarec n’était pas forcément la personne la plus à même pour prendre ce genre de décision. Sans que cela soit une règle absolue, la responsabilité des exécutions revenait plutôt au commissaire régional politique (CRP). Mais dans la structure communiste clandestine, le CT jouait toutefois un rôle clef dans le domaine de la sécurité. Selon les RG, le CT exerçait un contrôle impitoyable sur l’observation rigoureuse des mesures de sécurité, sur le respect d’une stricte discipline individuelle, sur l’exactitude dans les rendez-vous et sur une discrétion absolue. Ceci explique certainement que dans l’affaire Bihouis, ce soit le CT qui ait ordonné l’action et que l’exécution ait été confiée à un binôme dont l’un des membres était un ancien de l’Organisation Spéciale originaire d’Hennebont. ADM, Fonds Roger Leroux, Dossier FTP-FN-OS, cote 41J10 Baud.

31 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Liste des adhérents du PNB de l’arrondissement de Lorient, septembre 1944, cote 1526 W 223.
32 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Liste des adhérents du PNB de l’arrondissement de Lorient, avril 1944, cote 1526 W 223.
33 Le Moigno Mathurin, né le 8 juillet 1877 à Camors, nom figurant sur la liste des collaborateurs notoires établie par la préfecture du Morbihan.
appartenait effectivement au 1er bataillon FTPF (devenu 5ème Bataillon FTPF-FFI au mois d’août 1944).

34 ADM Fonds Roger Leroux, Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, Réseau Cohors-Asturies, cote 7AJ166.
35 Un maquis relevant du National Maquis fut implanté à Crann jusqu’à sa destruction par les Allemands le 10 février 1944.
36 ADM Fonds Roger Leroux, Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, Réseau Cohors-Asturies, cote 7AJ166.
37 Service Historique de la Défense, Division Terre, listing du 1er bataillon FTPF, cote 19P56-1.
38 Service Historique de la Défense, Division Terre, listing du 1er bataillon FTPF, cote 19P56-1.

39 Service Historique de la Défense, Division Terre, listing du 1er bataillon FTPF, cote 19P56-1.
40 Service Historique de la Défense, Division Terre, listing du 1er bataillon FTPF, cote 19P56-1.

41 Liste des membres du clergé abonnés à l’Heure Bretonne Morbihan : total des abonnés 367.

42 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Membres du clergé adhérents du Parti National Breton, 29 septembre 1943, cote 1526 W 223.

43 ADM Direction départemental des Renseignements Généraux, Membres du clergé adhérents du Parti National Breton, 29 septembre 1943, cote 1526 W 223.
44 Avant d’arriver à Baud, l’abbé Mary avait été aumônier de la maison Mère de la Congrégation des filles de Jésus à Kermaria en Plumelin.
45 Le matin du 10 juillet 1944,

 

Texte  Le Garrec de l'ORA