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EXTRAITS DU DISCOURS
PRONONCÉ le 14 juillet 1943 par DE GAULLE
A ALGER ,
place du Forum


Ainsi donc, après trois années d'indicibles épreuves, le peuple français reparaît. Il reparaît en masse, rassemblé, enthousiaste, sous les plis de son drapeau. Mais, cette fois, il reparaît uni. Et l'union, que la capitale de l'Empire démontre aujourd'hui d'une éclatante manière, c'est la même que révéleront demain toutes nos villes, tous nos villages dès qu'ils auront été arrachés à l'ennemi et à ses serviteurs.

Oui, notre peuple est uni. Il l'est, d'abord, pour faire la guerre. Certes, nous avons pu être submergés par la mécanique allemande, mal préparés au choc terrible qui nous a presque isolés sur un territoire dépourvu de sécurité naturelle, trahis en dernier ressort par les exploiteurs du désastre qui cultivaient notre désespoir afin d'étrangler à la fois notre honneur et nos libertés.

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Oui, notre peuple est uni pour la guerre. Mais il l'est d'avance aussi pour la rénovation nationale. Les bonnes gens qui se figurent qu'après tant de sang répandu, de larmes versées, d'humiliations subies, notre pays acceptera, au moment de la victoire, soit d'en revenir simplement au régime qui abdiqua en même temps que capitulaient ses armées, soit de conserver le système d'oppression et de délation qui fut bâti sur le désastre, ces bonnes gens, dis je, feront bien de dépouiller leurs illusions...... La France, délivrée, ne voudra, ni reprendre la route de l'abîme, ni demeurer sur celle de l'esclavage. La France a d'avance choisi un chemin nouveau.

Si elle entend désormais être libre, ne connaître de souveraineté que celle qui procède d'elle même, directement et sans entraves, bref, se livrer à la grande lumière de la pure démocratie, elle voudra aussi que ses volontés, à mesure qu'elle les fera connaître, soient exécutées avec suite, avec force, avec autorité, par ceux qu'elle en aura chargés. Elle voudra que ses gouvernants gouvernent, que ses fonctionnaires ne rusent pas avec leurs fonctions, que ses soldats s'occupent seulement de sa défense, que ses magistrats rendent une réelle justice, que sa diplomatie ne redoute rien tant que de mal soutenir ses intérêts. La Quatrième République Française voudra qu'on la serve non pas qu'on se serve d'elle. Mais encore, elle abolira toutes les coalitions d'intérêts ou de privilèges, dont on n'a que trop vu comment elles la mettaient en péril, introduisaient dans son sein les jeux de l'étranger, dégradaient la moralité civique et s'opposaient au progrès

Oui, après la chute du système d'autrefois et devant l'indignité de celui qui s'écroule, après tant de souffrances, de colères, de dégoûts, éprouvés par un nombre immense d’hommes et de femmes de chez nous, la nation saura vouloir que tous, je dis tous ses enfantspuissent désormais vivre et travailler dans la dignité et la sécurité sociales. Sans briser les leviers d'activité que constituent l’initiative et le légitime bénéfice, la nationsaura vouloir que les richesses naturelles, le travail et la technique qui sont les trois éléments de la prospérité de tous, ne soient point exploités auprofit de quelques uns.

La nation saura faire en sorte que toutes les ressources économiques de son sol et de son Empire soient mises en oeuvre, non pas d'après le bon plaisir des individus, mais pour l'avantage général. S'il existe encore des bastilles, qu’elles s’apprêtent de bon gré à ouvrir leurs portes ! Car, quand la lutte s'engage entre le peuple etla Bastille, c'est toujours la Bastille qui finit par avoir tort.
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Inversement, la France nouvelle, aussi instruite que quiconque de la nécessité sacrée d'organiser la solidarité des peuples, de créer dans le monde un ordre susceptible de garantir la sécurité de chacun, de mettre rationnellement en oeuvre les richesses de l'univers et de rapprocher entre eux tous les hommes de notre terre, sera, de par son génie, son expérience et sa capacité, l'un
des meilleurs artisans de la paix universelle. Intégrée à la vieille Europe, qui retrouvera après tant d'épreuves son équilibre et son rayonnement, mais étendue sur le monde entier par ses territoires et par son influence humaine, la France de demain sera au premier rang des nations qui sont grandes et qui se doivent d'autant plus au droit et à la liberté de tous.

Français, ah ! Français ! Il y a quinze cents ans que nous sommes la France et il y a quinze cents ans que la patrie demeure vivante dans ses douleurs et dans ses gloires. L'épreuve présente n'est pas terminée, mais voici qu'au loin se dessine la fin du pire drame de notre Histoire. Levons la tête, serrons nous fraternellement les uns contre les autres, et marchons tous ensemble, par la lutte et par la victoire, vers nos nouvelles destinées !


Charles de Gaulle
Discours et Messages

Pendant la Guerre( pages 287 à 289)